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jeudi 29 janvier 2015

Fascicule d une conference a propos de Bereshit, ecrit en 2003.... Comme le temps passe !!!

LE LIVRE DE LA GENESE

    Le mot Genèse nous vient de la Bible grecque où le terme genesis traduit l'hébreu toledoth, que l'on rend approximativement par « générations » ou généalogie. Le mot toledoth apparaît pour la première fois en Gn 2.4, où la Bible grecque porte : « Voilà le livre de la genèse (ou de la génération, de l'origine) du ciel et de la terre. » Par la suite, ce mot-clef revient plusieurs fois dans le corps de l'ouvrage. Il scande la narration en rappelant, à chacune des grandes étapes, que l'on poursuit toujours la réflexion théologique concernant les origines, et donc la manière dont le peuple de la Bible doit comprendre sa propre origine et son propre destin. Il y a ainsi les toledoth (généalogies, ou origines) du ciel et de la terre (Gn 2.4), d'Adam (Gn 5.1), de Noé (Gn 6.9), des trois fils de Noé (Gn 10.1), des fils de Sem (Gn 10.10), de Térah, le père d'Abram (Gn 11.27), d'Ismaël, l'ancêtre des douze tribus du nord de l'Arabie (Gn 25.12), d'Isaac (Gn 25.19), d'Esaü, l'ancêtre des Edomites (Gn 36.1), et finalement de Jacob-Israël, l'ancêtre qui donnera son nom au peuple (Gn 37.2). Le titre hébreu du livre est constitué, comme souvent dans la tradition des scribes, par le premier mot du texte : be-ré'shith = au commencement.

    De fait, l'accent porte sur l'initiative de Dieu. Le livre révèle que Dieu, qui est à l'origine de tout, conçoit un projet particulier dans le cadre de l'histoire humaine; il s'y attache dès l'appel adressé aux premiers pères (les patriarches) auxquels il attribue le pays de Canaan. Pourtant, le peuple de la promesse n'en prendra réellement possession qu'après de multiples péripéties, y compris un séjour assez long en Egypte.

Le traité des origines (chap. 1–11)

    La narration biblique sur les origines occupe les onze premiers chapitres. Ceux-ci appartiennent à un genre littéraire assez particulier dont le lecteur doit être averti. Il s'agit en effet d'une succession de tableaux offerts à la méditation de la foi.

    A ce titre, ils revêtent certains atours de la parabole. Leur intérêt ne réside pas dans l'anecdote : ce qu'ils racontent ne concerne pas seulement l'homme d'un lointain passé, mais aussi le lecteur de tous les temps. Ces pages primordiales évoquent ainsi les problèmes éternels du sens de la vie, du mal, de la mort et de l'espérance. Voici les principaux thèmes abordés dans ces récits des origines :

La création (texte I) comme organisation d'un temps et d'un espace dont le couple humain est le gérant mandaté par Dieu (1.1–2.3).

Origines (texte II) de la vie, de l'agriculture, du langage, du couple, de l'hostilité de la nature, de la procréation, de la douleur et de la mort. Le récit met en scène un dialogue entre Dieu et les hommes, une transgression humaine et un châtiment divin (2.4–3.24).

Irruption de la violence et apparition de la civilisation urbaine (Caïn et Abel, 4.1-16).

La racine du mal est au coeur de l'homme, dès sa prime jeunesse (le déluge, 6.1–8.22).

La grâce d'une alliance réaliste (l'alliance de Noé, 9).

La table des peuples (10).

Dans son ambition démesurée, l'humanité technicienne égalerait-elle Dieu ? La diversité des cultures et des langages la ramène sur terre (la tour de Babel, Gn 11.1-9).

Qu’allons-nous aborder ? Qu’allons nous pouvoir dire ?

Essayons d’abord de voir et de comprendre comment, au fil des siècles, on a interprété les récits des origines.

Les onze premiers chapitres de la Genèse font partie des textes bibliques qui restent les plus populaires au sein même des cultures modernes où la Bible n'est plus lue assidûment comme texte sacré. Ses récits - scènes du Jardin d'Éden, fratricide de Caïn sur son frère Abel, histoires du Déluge, de la tour de Babel - continuent à habiter les mémoires. Ils constituent les passages obligés de l'imaginaire occiden­tal des commencements du monde.

Comme il se doit, cet imaginaire s'appuie sur des images produites au long des siècles par des artistes qui ont interprété le récit biblique. Eve a désormais les traits de la femme serpentine du sculpteur d'Autun ou de la jeune fille à la belle chevelure ondoyante du Jardin des Délices de Jérôme Bosch. (Voir photographie ci-contre)

Tout le monde voit la tour de Babel à travers la grande construction en chan­tier représentée par Brueghel.
La langue continue à porter des allusions à ces textes : on « attend le déluge », on jette sur un déshonneur « le manteau de Noé ». Aux débuts du cinéma hollywoodien, non sans intrépidité, les cinéastes ont donné des visages à Adam. Eve, Caïn et Abel.
La publicité fait allusion fréquemment à une tentation revue et corrigée en péché de gourmandise.
Avec plus de gravité, les philosophes ou les psychanalystes continuent à solliciter ces textes pour réfléchir sur la violence, sur la vérité, sur la finitude de l'homme.

Cet intérêt des Modernes fait suite à une longue histoire au cours de laquelle ces chapitres ont été interminablement commentés, illustrés, associés même à d'âpres débats sur les rapports de la Bible avec l'his­toire ou avec la science.
De l’Eglise primitive au Moyen-Age :

Aux premiers siècles de l'Église et jusqu'à l'époque médiévale, pourtant, leur lecture est paisible. En fait, elle est inséparable d'un contexte de foi où la Bible est avant tout la parole par laquelle Dieu se fraie un passage jusqu'à l'homme pour révéler son visage, le sens profond de la condition humaine, le salut qu'apporte le Christ.
Ces chapitres sont alors lus essentiellement dans cette pers­pective : ils sont tenus pour une parole qui exprime le «principe», l'origine de l'existence de l'univers, beaucoup plus que ses débuts matériels, au sens où nous l'entendons communément. Certes, en des temps dépourvus de nos savoirs scientifiques, on peut solliciter ces textes pour répondre aux questions sur les commencements que l'homme se pose et auxquelles il n'a pas de réponse.
Les commentaires de la Genèse « selon la lettre », que l'on écrit alors, n'hésitent pas à reconstituer la géographie du jardin originel, des chronologies fantai­sistes de l'histoire du monde.

Mais les mêmes auteurs utilisent d'abord ces textes pour méditer sur le mystère du salut.

Ainsi, ils sont en quête de leur sens spirituel. Ceci explique leur recours fréquent à l'allégorie*, qui a pour but de dégager de la lettre et de la représentation matérielle, des lumières pour la vie chrétienne. Tel est le but de la lecture typologique* qui voit dans le jardin d'Éden, dans le Déluge ou l'épisode de Babel, des préfi­gurations d'événements futurs de l'histoire du salut. Le Paradis* est ainsi désigné comme figure de l'Église à laquelle le baptême donne accès.
Grégoire de Nysse, l'un des Pères* de l'Église du IVe s., exhorte ainsi les futurs baptisés : « Tu es hors du Paradis, ô catéchumène, com­pagnon d'exil d'Adam, notre premier père. Maintenant la porte s'ouvre ; rentre là d'où tu étais sorti. »
Dans cette ligne, l'arbre de vie du jardin d'Éden est relié à l'arbre de la Croix sur laquelle le Christ sauve l'humanité. Le Déluge est décrit comme préfiguration du juge­ment dernier, l'arche dans laquelle entre Noé comme figure de l'Église, où le Christ prend avec lui ceux auxquels il fait traverser les grandes eaux de la mort. L'épisode de Babel sert à éclairer l'événement de la Pentecôte, où l'unité refaite est symbolisée par le don des langues.
La culture médiévale est imprégnée de ces pensées. La lecture typo­logique demeure vivante. Ainsi, par exemple, voit-on les artistes trans­former l'arche du Déluge en solide demeure symbolisant l'Église ou bien faire figurer dans des représentations de l'Annonciation à Marie des allusions à l'arbre qui, au jardin d'Éden, a porté le fruit de la déso­béissance.

Les mêmes textes de la Genèse servent, de façon plus dou­teuse, à étayer une misogynie ambiante.

On se met, à la même époque, à donner au serpent un visage féminin, décalquant celui d'Eve, sous le prétexte que les mêmes s'attirent et s'assemblent. Et encore, c'est en passant par le récit de Babel que l'on scrute la question fascinante des origines du langage et que l'on part en quête d'une langue « adamique ».

Du 16ème siècle à l’aube des « Temps Modernes » :

Les utopies qui fleurissent au XVIe siècle et à l'âge clas­sique rêvent précisément d'un retour au temps d'avant Babel. Quand l'abbé Grégoire, à l'époque révolutionnaire, lancera la campagne d'éli­mination des patois du territoire national français, il argumentera :
« Avec trente-trois patois différents, nous en sommes encore, pour le langage, à la tour de Babel, tandis que pour la liberté, nous formons l'avant-garde des nations. »

Dans le même temps, l'apparition d'une lecture critique de la Bible va placer ces textes fameux au centre de polémiques virulentes.

Des débats portant sur l'auteur du Pentateuque* ou sur la vraisemblance des textes sacrés font de la Genèse leur point d'application favori.
Le texte reçu jusqu'alors sans aucune gêne, tant qu'il était lu dans une perspective allégorique et spirituelle, se charge d'une étrangeté qui trouble des lec­teurs pourtant aussi évidemment chrétiens qu'un Bossuet.
Le sens allé­gorique étant de plus en plus marginalisé, seul compte le sens littéral. La lecture devient enquête sur un texte abordé de manière exclusivement historique et philologique.

Les onze premiers chapitres de la Genèse font dès lors figure de récit réaliste du commencement, sur le mode naïf, pri­mitif et préscientifique qui caractérise nécessairement des auteurs appar­tenant à un passé lointain et étranger aux lumières modernes.

Le Dictionnaire philosophique de Voltaire (1764), aux articles « Adam », « Babel », «Inondation » ou encore « Genèse », donne idée des débats qui enflamment les esprits. Le texte de la Genèse, explique-t-il, reprend « des préjugés vagues et grossiers » en cours dans les cul­tures du temps. Il est rempli d'inconséquences : il « ne fait créer le soleil et la lune que quatre jours après la lumière ». Le philosophe iro­nise : « II est difficile de concevoir qu'il y ait eu un arbre qui enseignât le bien et le mal, comme il y a des poiriers et des abricotiers. »
II feint de savants calculs sur le temps nécessaire pour que toute la terre soit recouverte par les eaux du Déluge. Il conclut que toute cette histoire n'est que chimère.

Les apologistes, ses contemporains, tentent de répondre en maintenant le débat sur le même terrain. Ils cherchent à concilier l'Écriture et les nouveaux savoirs qu'apportent la physique et
l'histoire naturelle. Par exemple, ils multiplient les « preuves » phy­siques d'un déluge universel ayant laissé des traces dans les paysages du monde, ou ils invoquent les témoignages d'une paléontologie dans son enfance.

Les débuts de la « Critique » moderne :

Pourtant la critique progresse inexorablement. Au début du XIXe siècle, on se met à parler de mythes* à propos de ces textes, en char­geant le mot d'un sens résolument négatif. La naissance du compara­tisme, associée à la redécouverte par l'archéologie des grandes civilisa­tions du Proche-Orient ancien, amène à découvrir que les vieux récits bibliques sont précédés de documents plus anciens dont ils s'inspirent. Des exégètes allemands de renom comme H. Gunkel (Création et chaos, 1895) ou F. Delitzsch (Babel et la Bible, 1902) contribuent à cette prise de conscience. La civilisation babylonienne, en particulier, appa­raît comme une source d'inspiration majeure de ces premiers chapitres.

Le grand public se passionne pour ces travaux qui placent la Bible sous la lumière crue de la critique historique.

Au tournant du XIXe siècle, le monde chrétien, dans sa majorité, s'émeut en voyant dans ces recherches une entreprise de sape du texte biblique et de sa crédibilité. L'obsession d'une historicité de ces textes, analogue à celle que peuvent revendiquer d'autres textes de la Bible, suggère d'entreprendre des véri­fications fantasmatiques des données bibliques. On cherche où aurait pu être planté le jardin d'Éden, on spécule sur les monts d'Ararat où l'arche de Noé s'est arrêtée. Dans le même temps, les thèses évolutionnistes accréditent de nouvelles conceptions de l'histoire de l'humanité, qui font un écart problématique avec les représentations que l'on avait cru pouvoir tirer de la Genèse. Certains vont développer un concordisme mettant en relation les ères géologiques avec les données du texte.
Peu vont savoir, comme M.-J. Lagrange, garder une égale confiance dans le texte sacré et dans l'enquête historique. C'est sur cette voie pourtant que les résultats les plus fructueux vont être acquis. L'exé­gèse* contemporaine fera la preuve que le texte résiste à la critique his­torique, mais plus encore que celle-ci conduit à y découvrir des finesses insoupçonnées.

Logique de l'arroseur arrosé... un Voltaire croyait établir définitivement la naïveté des récits qui ouvrent la Genèse; les connaissances acquises aujourd'hui suggèrent que la naï­veté était du côté de l'enquêteur qui posait des questions enfantines, ignorantes de la nature des textes, de leur finalité ou encore des subtili­tés polémiques qu'ils entretiennent avec les cultures et les religions qui leur étaient contemporaines.
Hormis pour des cercles isolés qui pré­tendent faire une lecture littérale et réaliste de ces textes, il est clair désormais que les premiers chapitres de la Genèse ne sauraient passer pour une chronique des commencements du monde qui pourraient entrer en compétition avec les savoirs apportés par la science.

Ces textes ne parlent ni du big bang ni de la météorologie ancienne : leur projet est autre et, à certains égards, plus ambitieux. Ils veulent éclairer le sens d'une condition humaine que la science ne peut qu'aménager.

Quoi qu'il en soit des bourrasques et des ébranlements qui ont secoué les siècles passés, ces textes ont gardé une étonnante fraîcheur et un pouvoir d'inspiration qui s'est renouvelé au long du XXe siècle. Parmi bien d'autres, un Borges en témoigne quand il croise le mythe du labyrinthe avec celui de Babel pour édifier sa Bibliothèque de Babel. D'une autre manière, Péguy illustre cette actualité du texte quand il consacre un immense poème à Eve, « mère ensevelie hors du premier jardin », et quand il déploie sous son inspiration la fresque d'une humanité besogneuse, éprouvée mais sauvée[1]. (ci-dessous, « Construction de la tour de Babel, enluminure sur velin, Livre d’Heures du Duc de Bedford, Paris, vers 1423)





Foi et science sont-elles compatibles ?

Avant que la physique moderne n'établisse que notre univers a eu un commencement, les cultures humaines n'ont cessé d'évoquer une origine de l'humanité et du monde : des êtres surpuissants, en un temps initial, auraient créé le monde et l'humanité. La tra­dition biblique a repris cette représentation aux cultures qui l'entouraient, non sans lui apporter un rectificatif majeur en substituant à l'idée de créateurs multiples, plus ou moins en compétition, l'affirmation que le monde est l'oeuvre d'un Dieu unique et uni­versel. Mais jusqu'à l'époque moderne l'idée dominante et générale est celle d'un processus instantané : soit que la vie ait surgi de façon spontanée (génération spon­tanée), soit que les êtres aient été créés par Dieu dans un geste unique qui les a faits tels que nous les connaissons (créationnisme). Un non-chrétien comme Voltaire se ralliait sans conteste à cette seconde hypothèse.
Le créationnisme chrétien prit, lui, ses appuis dans les premiers chapitres de la Genèse lus littéralement et tenus, dans leur acception réaliste, pour parole révélée. On conçoit le choc causé par les thèses évolutionnistes qui, de Darwin à Mendel, imposèrent une vision du monde désormais inséparable de l'évolution. En réponse à ce défi, fut avancée l'idée d'un créationnisme à répétition, qui continuait à refuser toute idée de transformation des espèces. En dernier ressort le créationnisme consentit à la pers­pective d'une évolution, mais en y sous­trayant l'homme, distingué en cela du reste du règne animal. À l'heure présente la majo­rité des Églises chrétiennes a délaissé le créationnisme qui n'est plus professé que par des groupes fondamentalistes aux USA.
Mais cette nouvelle attitude ne signifie pas l'abandon des affirmations bibliques tra­ditionnelles déclarant que le monde a été créé par Dieu et que l'homme est fait à son image. Bien au contraire, on assiste à un recentrage sur le sens profond de ces propo­sitions : à savoir que l'homme n'est pas sa propre source, qu'il n'habite pas le monde en potentat qui pourrait en user arbitraire­ment, que le monde est pénétré d'une intelli­gence qui déborde celle de l'homme, ou encore que l'homme, tout en appartenant au règne animal, est porteur d'une dignité qui est irréductible à une supériorité morpholo­gique (la station debout ou l'usage de la main) ou intellectuelle (le volume du cer­veau). De telles propositions ne s'opposent pas à la logique scientifique. Elles sont seule­ment, et sans concurrence, d'un autre ordre.[2]


SURVOL DE GENESE 1 à 11 :


1-2,4. CREATION

Le grand drame du commencement de toutes choses s’ouvre sur Dieu. Le langage est simple mais vivant. II évoque la merveille et la richesse de la création depuis la masse informe jusqu’au foisonnement de la vie. Mais il est plus que poétique. II nous dit ce que nous avons besoin de savoir pour nous comprendre nous-mêmes et le monde autour de nous:

  • L’origine du monde et de la vie n’a pas été un accident. II y a un créateur:Dieu.

  • Dieu a fait tout ce qui existe.

  • Tout ce que Dieu a fait était bon.

  • De tous les actes créateurs de Dieu, la création de l’homme a été le plus grand.

  • L’humanité se distingue de toutes les autres créatures sur deux points ; seul, l’homme est fait à la propre ressemblance de Dieu ; il lui est donné pouvoir sur tout le reste.

  • Les six "jours" de l’activité créatrice de Dieu, suivis d’un "jour" de repos, établissent le modèle de la vie de travail de l’homme.

  • La création, telle qu’elle est décrite, dure six jours. II y a huit actes créateurs, chacun étant introduit par les mots "et Dieu dit..." :

JOUR 1:lumière et obscurité / jour et nuit.

JOUR 2:atmosphère de la terre  (firmament) .

JOUR 3:terre sèche et mers séparées. Plantes et arbres.

JOUR 4:soleil, lune et étoiles ; saisons, jours, années

JOUR 5:créatures de la mer et oiseaux.

JOUR 6:animaux terrestres. Homme.

JOUR 7:la création étant achevée, Dieu se repose.

Les événements sont décrits du point de vue d’un observateur qui regarderait la création se développer autour de lui. L’ordre n’est pas nécessairement chronologique (la chronologie absolue est une idée moderne !). Lumière et obscurité, par exemple, viennent avant le soleil, la lune et les étoiles.

Ce n’est pas un traité de géologie, de biologie ou d’une autre science !

On ne nous dit pas "quand" la création a eu lieu. On ne nous donne pas de détails sur la "manière" dont Dieu a fait entrer dans l’être, la terre et la vie, ni combien de temps tout cela a pris.
Certains estiment que les "jours" expriment une période.
D’autres pensent que ce modèle de sept jours n’est qu’une manière très vivante d’exprimer l’énergie créatrice et la satisfaction de Dieu, le bon ordre et la majesté simple avec lesquels il a tout créé.

"L’image" ou "ressemblance" de Dieu  (1,27) :

De toute la création, seul l’homme  (l’être humain. C’est le seul sens possible du mot Adam, en hébreu : il ne s’agit pas de « monsieur » Adam, mais de l’humanité toute entière.) est décrit comme fait à l’image de Dieu. D’ailleurs, on le comprend, la phrase sépare l’homme des animaux. Elle l’établit dans une relation particulière avec Dieu. Dieu donne à l’homme le contrôle sur le monde nouvellement créé et sur toutes ses créatures. La "ressemblance" est si fondamentale dans la structure de l’homme que la chute ne l’a pas détruite. Le péché l’a certainement abîmée et gâchée, mais l’homme reste une créature raisonnable, morale, créatrice. II a encore à contrôler son environnement.
Physiquement, génétiquement parlant, l’homme est un animal comme les autres, de la classe des mammifères, apparenté directement aux grands singes. Mais, ONTOLOGIQUEMENT* parlant, l’homme est loin de n’être qu’un animal ! N’en faire qu’un animal, c’est le réduire à moins que ce qu’il est:un homme à la ressemblance de Dieu.




Qu’est-ce qu’un « mythe » ?

Le mythe est un récit qui a pour objet de dire l'origine de ce qui existe, d'explorer la complexité du monde au milieu duquel vivent les hommes. Il a une fonction explica­tive. Comme tel, il représente une des modalités de la réflexion humaine. Il sert aussi à justifier les conventions qui organi­sent la vie des individus et des groupes : il vise à fonder et à instaurer la vie de ceux qui le racontent. Pour ce faire, il se situe volon­tiers dans un temps primordial, « en ce temps-là », temps des dieux, hors de notre chronologie. Le mythe est anonyme et col­lectif. Souvent il est lu au cours de la célébra­tion d'une fête qui en reprend rituellement des éléments.
Ainsi du mythe mésopotamien d'Ishtar et de Tammouz : elle est maîtresse du sol et de la végétation, et lui, le dieu-berger, rend compte de l'alternance des saisons. Ce mythe, mimé lors de la fête du Nouvel An, devait assurer au pays une année féconde. D'autres mythes ont pour fonction d'éclairer les mystères de la condition humaine. Il existe également des mythes qui expriment non pas les origines mais le terme de l'histoire, le monde nouveau espéré ; on les appelle « eschatologiques* ». On les trouve notamment dans les apocalypses*.

Le rationalisme du XIXe siècle a porté sur le mythe des jugements très négatifs en l'assimilant à une forme de pensée prélo­gique, irrationnelle, qui relèverait du seul imaginaire.

Plus récemment une conception beaucoup plus positive s'est affirmée : le mythe apparaît comme un langage fait pour saisir des réalités que le langage courant échoue à désigner ; il est le moyen de signi­fier des réalités invisibles ou transcen­dantes, d'explorer les arcanes de la vie. Par là, il peut être porteur d'une vérité plus pro­fonde que la vérité historique. On a pu dire qu'il était un « effort de connaissance de l'inconnaissable » (Buess). Il se pourrait même que, bien compris, il implique un jeu et une distance qui empêchent de le prendre à la lettre, à l'inverse de la naïveté que nous prêtons à ses auditeurs ou à ses lecteurs.

Aussi la tradition biblique rencontre-t-elle le langage du mythe, spécialement dans les onze premiers chapitres de la Genèse qui se tiennent à la racine obscure de l'histoire. Le souvenir de mythes très fameux dans le monde antique affleure dans ce texte.
Mais la Bible privilégie trop l'his­toire pour avoir un rapport paisible au mythe, par essence anhistorique. En fait, elle utilise des motifs mythiques qu'elle soumet à un sévère traitement démythologisant. Elle en fait les moyens d'expression d'un langage symbolique qui lui permet d'évoquer des réalités qui débordent l'expérience[3].





Des traditions différentes :

Partons d'un exemple simple : nous avons quatre textes différents nous parlant de Jésus, les quatre Evangiles.
De tout temps, on a eu envie de les rassembler pour en faire une « vie de Jésus », en addition­nant, dans un seul récit suivi, tous les  détails qu'on trouve dans ces quatre livres.

Supposons que je demande à un spécialiste de littérature, ignorant l'existence des évangiles. d'étudier cette « vie de Jésus ». Très vite, il flai­rera que ce livre n'est pas d'une seule venue ; il remarquera, par exemple, les changements de style (descriptions très concrètes de Marc et discours bien construits de Jean), les différences de vocabulaire, etc.

Et il émettra l'hypothèse que ce livre a été compose a partir de différents docu­ments. Il essaiera alors de retrouver ces docu­ments en répartissant le texte en plusieurs colonnes, correspondant à nos quatre évangiles.

Si l'on compare maintenant le résultat de son travail avec nos évangiles, on constatera sans doute deux choses ;
• des « trous » : en effet quand Marc et Luc, par exemple, racontaient le même épisode, la « vie de Jésus » n'en a gardé qu'un ; l'autre est donc perdu.
• des erreurs : il n'est pas toujours facile de reconnaître si un petit morceau de texte appar­tient a Matthieu ou à Luc et notre spécialiste pourra s'être trompé.


Revenons au Pentateuque : Ces cinq tomes (c'est le sens littéral du mot grec pentateuque) forment un unique ouvrage. Mais depuis longtemps les spécialistes ont perçu qu'il était composite et ils ont émis l'hypothèse que cet ensemble était un assemblage de quatre traditions principales écrites à différentes époques.

1. La tradition YAHVISTE (désignée par la lettre J) est ainsi nommée parce, dés le début, elle appelle Dieu YHWH, Elle a pu naître à l’époque de Salomon, vers 950 AEC, dans les milieux royaux de Jérusalem. Le roi y tient une grande place ; c'est lui qui fait l'unité de la foi,

2. La tradition ELOHISTE (désignée par la lettre E) appelle Dieu Elohim. Elle serait née vers 750 dans le Royaume du nord après que le Royaume-Uni de David-Salomon ail éclaté en deux. Très marquée par le message de pro­phètes comme Elie ou Osée, elle donne une grande importance aux prophètes.
Ces deux traditions fusionneront à Jérusalem, vers 700. Cette fusion, qu'on appelle parfois Jehoviste (JE) n'est pas une simple addition : ce fut l'occasion de compléter et développer certaines traditions.

3. La tradition DEUTÉRONOMISTE (lettre D) est surtout contenue dans le Deutéronome. mais elle a influencé d'autres livres. Commencée dans le royaume du nord, elle fut achevée dans celui de Jérusalem

4. La tradition SACERDOTALE (lettre P) :  est née pendant l'exil d Babylone, dans les années 587 à 538 et après. En déportation, les prêtres relisent leurs traditions pour maintenir la foi et l'espérance du peuple.
Ces quatre traditions et leurs développements seront à leur tour rassemblés en un seul volume Le Pentateuque. Ce travail semble achevé vers 400 et la tradition juive l'attribue souvent au prêtre Esdras.[4]

Il faut ajouter à tout ceci qu’aujourd’hui se pose encore la question de la datation précise de ces diverses traditions et de leur compilation. Un ouvrage particulièrement intéressant à ce sujet est « La Bible Dévoilée[5] », publié récemment chez Bayard pae I. Finkelstein et N.A. Silberman.

On trouvera ci-dessous un tableau des « traditions » du Pentateuque :


Des dates …et des origines !

Genèse 1 à 2 :4a aurait été rédigé à l’époque de l’exil à Babylone, au 6ème siècle. C’est un écrit SACERDOTAL*, produit par des rédacteurs qui étaient des prêtres hébreux en exil. En tant que tel, même s’il traduit l’emprunt évident à une culture religieuse étrangère, il trahit, dans sa rédaction, des usages liturgiques qui étaient familiers à ces prêtres en exil.
Ainsi, le rythme de la création est-il calqué sur l’alternance des jours : le but n’est pas de faire croire à une création en sept jours, ni en sept périodes, mais de rattacher la liturgie juive à l’acte créateur de Dieu. Cette alternance des jours n’est d’ailleurs pas le seul parallèle que l’on peut établir avec la liturgie juive : ce parallèle se retrouve jusque dans l’emploi rythmique de diverses expressions : ainsi, on trouvera 10 fois « Dieu dit », 8 fois « Dieu fit », et 7 fois « Dieu vit ». On a sept jours, huit œuvres et… dix paroles !

Genèse 2 :4b à 3 :24 (le second récit de création) est plus ancien et date vraisemblablement du 8ème siècle AEC. Le cadre est très différent : il ne s’agit pas du cosmos et des astres, mais de l’univers rural du paysan

Création « ex nihilo » ?

Une conception théologique fréquente parle de la Création « ex nihilo », c'est-à-dire au départ de rien. Cette conception ne découle ni de la lecture que nous pouvons faire des textes de Genèse, ni en tout cas du texte hébreu . Au contraire, celui-ci dit , littéralement :

« Dans un commencement (de quelque chose ), Dieu créa ». Il ne dit pas « Au commencement, Dieu créa ». On n’est donc pas devant un commencement absolu. D’autre part, il n’est dit nulle part que Dieu créa à partir de rien , sauf dans une tradition juive qui veut que tout commence au départ d’un vide, créé lui-même par le retrait de Dieu. (notion de Tsimtsoum). Il ne s’agit donc pas non plus, dans cette tradition, d’un vide ou d’un néant originel. Ce dernier ne saurait exister en tant que tel car alors, il faudrait se poser la fameuse question : « où donc était Dieu avant la création du monde ? »[6].

L’idée d’une création « ex nihilo » est en fait assez tardive et est mentionnée dans un deutérocanonique, rédigé au 2ème siècle avant l’Ere Commune : le Second Livre des Maccabées, dans lequel on peut lire, au verset 28 du chapitre 7 :

Je te conjure, mon enfant, regarde le ciel et la terre, contemple tout ce qui est en eux et reconnais que Dieu les a créés de rien et que la race des hommes est faite de la même manière.

 2,5-3,24. L’HOMME:EPREUVE ET CHUTE

Lire :  Ge 2.5-25 Plein feu sur l’homme :

Cette deuxième description de la création complète la première qui situait la scène. Elle est écrite d’un point de vue différent et est centrée cette fois-ci sur l’homme. Elle emploie aussi un autre nom pour Dieu.

  • Dans le premier récit, c’était Elohim. Dieu Créateur, le Grand, le Haut, l’Unique, qui habite l’éternité.

  • Maintenant c’est YHWH (« Adonaï », Yahvé, Jehovah) Elohim, Dieu en relation à son peuple

Ces deux récits représentent, comme nous l’avons évoqué plus haut, deux traditions ou sources différentes. Ils recèlent tous deux une « pointe » théologique :


  • Le récit du chapitre 1 montre le principe d’un jour de repos sur sept.

  • Le récit du chapitre 2 établit le modèle du mariage humain.

Les deux arbres:

La phrase "le bien et le mal" est une expression hébraïque indiquant toute l’échelle de la connaissance morale représentée par les deux extrêmes. Manger de l’arbre de la connaissance du bien et du mal rendra donc l’homme semblable à Dieu. L’arbre de vie, inaccessible à l’homme une fois qu’il a péché, apparaît à nouveau dans le dernier livre de la Bible. II se trouve à côté du fleuve, dans la nouvelle Jérusalem, où Dieu et son peuple vivent encore une fois ensemble. Les feuilles sont "la guérison des nations" (Lire : Apocalypse 22.2). La vraie vie dépend finalement de la présence de Dieu.

L’homme désobéit à Dieu

Le serpent met en doute ce que Dieu a dit et appelle Dieu, menteur. La femme met en balance le fruit attrayant, le désir de posséder la connaissance divine et le clair commandement de Dieu. La décision est délibérée et fatale. L’homme a désobéi à Dieu, rejeté son autorité, choisi d’en faire à son idée et de devenir lui-même "dieu". Le résultat est inévitable.
Un Dieu saint ne peut supporter le péché. Le serpent est d’abord réprimandé  (le verset 14 ne signifie pas qu’il ait eu des pattes auparavant).
La femme connaîtra les souffrances de l’enfantement, le processus humain le plus fondamental.
Elle connaîtra ce que signifie le fait que son mari la "domine".
Désormais le travail d’Adam sera un dur labeur. A cause du péché, l’accès à l’arbre de la vie leur est maintenant interdit. Ils doivent quitter le jardin, sans retour. La mort spirituelle, la séparation d’avec Dieu, est immédiate. La mort physique arrive à terme. L’avertissement de Dieu était vrai. Mais il continue à prendre soin d’eux et les habille avant qu’ils ne s’en aillent.


Autres mythes de création.

Les grandes cultures du Proche-Orient ancien ont, bien avant la Bible, élaboré des récits de création. Ces mythes d'origine ten­tent de répondre aux interrogations qui habitent l'homme :

qui sommes-nous ?
pour­quo i existons-nous ?
quelles relations lient l'humanité aux dieux ?
pourquoi l'homme travaille-t-il ?

En confrontant la Bible à ces documents on mesure les emprunts que les auteurs bibliques ont faits aux cultures qui les entouraient. On découvre aussi comment ils ont profondément réinterprété ces maté­riaux au service d'une vision de Dieu et de l'homme bien différente.

Le poème babylonien Enouma Elish, rédigé probablement au milieu du IIe millé­naire avant notre ère, fait partie de ces sources. Il s'ouvre par ces mots :

« Lorsqu'en haut le ciel n'était pas nommé, et qu'en bas la terre n'avait pas de nom, de l'océan pri­mordial leur père, et de la tumultueuse Tia-mat leur mère à tous deux, les eaux se confondaient. »

 II se poursuit en évoquant la formation du monde surgi d'un gigantesque combat mettant aux prises le dieu Mardouk et le Chaos aqueux formé par Tiamat et Apsou. Ayant triomphé de Tiamat, Mardouk édifie l'univers à partir du corps fendu du monstre. Puis Mardouk crée l'homme avec le sang de Kingou, un dieu traître qu'il a i également vaincu.
Le chapitre 1 de la Genèse, écrit au moment de l'Exil à Babylone, est en rapport d'allusion et de critique à ce mythe : tout en reprenant certains motifs, il refuse l'idée d'un combat primor­dial et celle d'un homme qui serait le pro­duit dérivé du corps d'un dieu vaincu.

La Bible croise également le poème d'Atra-Hasis (« Le très intelligent »), datable du XVIIe siècle avant notre ère, qui raconte la création de l'humanité. Au tout début étaient les dieux qui devaient subvenir eux-mêmes à leurs besoins en travaillant de leurs mains. Les grands dieux Anounna se déchargèrent de ce labeur sur des dieux inférieurs, les Iguigou, qui finirent par se révolter. Le dieu Ea prend alors la parole en suggérant de créer les hommes chargés d'assurer le ser­vice des dieux : « Que l'homme porte le panier du dieu. » Ainsi la déesse Mama et ses auxiliaires fabriquèrent les hommes avec de l'argile mêlée au sang et à la chair d'un dieu pour servir les dieux. En contraste, le texte de la Genèse décrira un homme créé gratuitement et recevant à son profit la gérance du jardin d'Éden.

Le motif du serpent qui trompe l'homme, présent au chapitre 3 de la Genèse, est éga­lement familier à bien des mythologies. Tout près d'Israël, il apparaît en particulier dans l'épopée de Guilgamesh (XIe tablette, 271-290). Au terme d'un long chemin, le roi d'Ourouk a trouvé la plante de l'immortalité. Mais alors qu'il touche à son but, elle lui est ravie par le serpent :

Guilgamesh descendit dans l'abîme et saisit la plante... [Sur le chemin du retour] Guilgamesh vit une fontaine aux fraîches eaux. [Comme] il était descendu pour se laver à ses eaux, un serpent qui avait senti l'odeur de la plante, silencieusement sortit [de terre] et emporta la plante. Tout aussitôt il rejeta ses écailles. Dès lors Guilgamesh, immobile, reste à pleurer. (Trad. F. Malbran-Labat.)

Le texte biblique renvoie à d'autres sources encore, égyptiennes en particulier, mais aussi indo-européennes. Il apparaît que ses rédacteurs ont mené une enquête méticuleuse sur la question des origines en puisant leur bien dans les traditions qui leur étaient accessibles et qu'ils ont, à partir de là, élaboré leur propre synthèse.[7]


LE RECIT DES ORIGINES VU PAR L’EXEGESE RABBINIQUE[8] :



BÉRÈCHIT




La création


«Au commencement, D'ieu avait créé le ciel et la terre. Or, la terre n'était que solitude et chaos; des ténèbres couvraient la face de l'abîme, et le souffle de D'ieu planait sur la face des eaux. D'ieu dit : «Que la lumière soit!» Et la lumière fut. D'ieu considéra que la lumière était bonne, et il établit une distinction entre la lumière et les ténèbres. D'ieu appela la lumière Jour, et les ténèbres, il les appela Nuit. Il fut soir, il fut matin, un jour(15)».

Bérèchit est la première sidra de la Tora. La Tora s'ouvre sur le récit de la création du monde. Selon le Midrache Rabba rapporté par Rachi, ", il n'était point nécessaire de commencer la Tora par le récit de la création. Étant surtout le livre où sont édictées les règles et les lois du judaïsme, la Tora aurait dû débuter par la première loi(16) : «Ce mois-ci est pour vous le commencement des mois; il sera pour vous le premier de l'année.» Toutefois en relatant la création du monde, la Tora tient à présenter notre Souverain Roi auquel nous devons obéissance puisque c'est Lui l'auteur du monde et son Créateur.
Par ailleurs, s'appuyant sur le texte(17) : «La puissance de ses hauts faits, il l'a révélée à son peuple» le Midrache Tanhouma, , affirme que l'intention du créateur était de prouver aux peuples qu'Israël ne les a nullement spoliés de leur terre mais c'est le Maître du monde qui, les ayant dépossédés de leur pays, l'a donné à Israël.
Cependant même si nous devions admettre avec le Tanhouma que l'intention de la Tora était de faire taire tout argument des nations contre Israël, une difficulté subsisterait. Car quand bien même ces peuples auraient confiance et foi absolues en D'ieu, il n'en demeure pas moins qu'une donation reste toujours une donation qu'on ne peut reprendre avec autant de facilité. Une donation est comme une vente, irrévocable et inaliénable.

Mais le Chélah ha-Qadoche, , explique à propos du verset(18) : «Reconnais à présent, et imprime-le dans ton coeur, que l'Ét'ernel seul est D'ieu, dans le ciel en haut comme ici-bas sur la terre, qu'il n'en est point d'autres!» que l'intention du texte, n'étant pas de nous convaincre de l'unicité de D'ieu, chose que nous savions déjà par(19) : «Écoute Israël, l'Ét'ernel notre D'ieu, l'Ét'ernel est un», consiste en fait à affirmer que la présence divine dans le monde est la présence par excellence qui maintient l'existence du monde. C'est ainsi que la présence divine donne la vie à tout ce qui existe comme dit le texte(20) : «Tu donnes la vie à tous les êtres».

Rambam, ", dira également dans le Guide des Égarés(21),  , D'ieu est appelé «vie des mondes» car c'est Lui qui les fait vivre et, s'il retirait Sa Providence ne serait-ce qu'un instant, ce sera la fin du monde. En effet, lorsqu'un artisan crée un objet, l'objet créé continue d'exister indépendamment de son auteur, tandis que le monde, même une fois créé, continue à dépendre du D'ieu créateur.

Aussi pour cette raison le Tanhouma base-t-il toute sa preuve sur le texte : «La puissance de ses hauts faits, il l'a révélée à son peuple» pour nous signaler que la puissance que renferme chaque acte et chaque fait divins, D'ieu les révèle à son peuple. Dans une telle perspective qui fait du peuple d'Israël le partenaire, ou tout au moins l'interlocuteur privilégié du Créateur, la donation du pays de Kénaâne faite aux sept peuples ne pouvait en aucune manière être considérée définitive et inaliénable. Cette donation était provisoire, momentanée car la terre dépendait et continue à dépendre de la Providence qui s'applique à elle d'une manière particulière. Une donation fait que le donateur n'a plus de prétention sur l'objet donné duquel il se détache complètement et définitivement. Ce ne fut nullement le cas du pays de Kénaâne.

Le récit de la création a ceci de particulier c'est qu'il nous renseigne sur la raison principale qui avait motivé la création. Le Midrache Rabba, , rapporté par Rachi, ", affirme :
«À cause de la Tora appelée rèchite, , tel qu'il est dit(22) :
«L'Ét'ernel me créa au début, rèchite, de son action et à cause d'Israël appelé aussi rèchite tel qu'il est dit(23) : «Israël est une chose sainte, appartenant à l'Ét'ernel, les prémices, rèchite, de sa récolte...»... que le monde a été créé.»

Pour que la création puisse se maintenir Israël doit s'engager à étudier la Tora et à réaliser toutes les mitswot, . Israël est donc le garant de la création. Ce qui confirme les paroles du Talmoud(24), , que la création a été soumise à la condition expresse qu'Israël accomplisse la Tora sinon le monde serait réduit à néant.

Au commencement, D'ieu avait créé le ciel et la terre.

Ce texte suscite quelques remarques. Ainsi, pour quelle raison la Tora commence-t-elle par Bèt, , et non Alèf, ?
Bérèchit, , est à l'état construit, un génitif, autrement dit, «au commencement de..» la Tora n'indique pas le nom qu'il complète. Comment donc comprendre l'emploi de cette forme?

Èl'ohim : -, plus tard(25) le texte dira : «l'Ét'ernel D'ieu», ' . Pourquoi ce changement?

La Tora commence par Bèt, , parce que le roi Chélomo, , dans son livre Qohèlète, , compare la Tora au soleil qui éclaire la terre à partir de trois directions, Est, Sud, Ouest; le Nord n'est jamais visité par le soleil. Tel le Bèt, , limité dans trois directions, mais la quatrième, toujours ouverte, que seule la Tora arrive à fermer, ainsi quiconque veut contester la Tora , s'expose aux tentations et aux attaques du yètsèr ha-râ, , appelé tséfoni, , l'originaire du nord. Mais quiconque désire échapper à ces attaques, la Tora sera là pour l'aider.

Les Pirqè de Rabbi Èliêzèr,   , et le Zohar, , rapportent comment le Créateur avait écarté chacune des lettres de l'alphabet pour débuter la Tora, invoquant pour chacune la raison de son refus. Le choix s'étant arrêté sur la lettre Bèt, , Alèf, , avait marqué son mécontentement. D'ieu le console en le gratifiant du privilège d'être placé en tête du décalogue. Anokhi, , commence, en effet, par Alèf. Mais le choix divin s'était porté sur Bèt parce qu'elle débute le mot Bérakha, , bénédiction, alors que Alèf est le début de arour, , malédiction. La création du monde se situe donc au niveau de la bénédiction.

Zéqènim mi-Baâlè ha-tosséfot, , font remarquer que le terme bérèchit, , est composé de six lettres rappelant les six jours de création. Le verset se compose de sept mots correspondant aux sept jours de la semaine. Et le nombre total des lettres qui composent ce verset est de 28 faisant référence aux 28 jours du mois. Ce verset renferme six fois la lettre Alèf qui se lit Èlèf, , millénaire, attirant l'attention sur la durée du monde de la création qui est de 6000 ans.

Au commencement de... , le texte ne dit pas «au commencement de quoi». C'est pourquoi le midrache rapporté par Rachi propose comme lecture du verset Bé = bichevil, , à cause d'un rèchite, , et rèchite s'explique par Tora et Israël. En d'autres termes, «à cause de la Tora et d'Israël, D'ieu créa..»

Mais le Targoum Yérouchalmi(26), , traduit «avec sagesse D'ieu créa...» car le verset(27) dit : «rèchite, le début de la sagesse, c'est la crainte de l'Ét'ernel».
Selon le Targoum, l'intention divine qui a présidé à la création est la sagesse autrement dit la crainte de l'Ét'ernel. Aussi pour le Zohar, l'anagramme de Bérèchit, , est-il yéra Chabbat, , crains le Chabbat. Et qui craint le Chabbat craint le Créateur. Le but de la création est donc que les créatures craignent l'Ét'ernel.

Èl'okim, . Au début, D'ieu avait l'intention de créer le monde par la rigueur divine, middate ha-dine, , mais comme il a vu que le monde ne pouvait tenir sur la justice stricte, il lui a associé la miséricorde, middate ha-rahamim,  . Aussi le texte dira-t-il par la suite(28) :
«Telles sont les origines du ciel et de la terre, lorsqu'ils furent créés; à l'époque où l'Ét'ernel, ', miséricorde, D'ieu, , justice, fit une terre et un ciel».

Toujours est-il impossible de penser qu'un changement ait pu intervenir au niveau de la volonté divine. Celle-ci a toujours voulu diriger son monde selon middate ha-dine qui continue d'ailleurs à s'appliquer aux tsaddiqim, , en raison de leur aptitude à assumer à accepter la rigueur divine. S'agissant des réchaîm, , incapables d'y faire face, le Créateur consent à lui adjoindre clémence et miséricorde. C'est pourquoi il a été donné au rachâ, , la possibilité de s'amender et faire un repentir. Car si le monde était dirigé seulement par middate ha-dine, il n'y aurait pas eu de place aux réchaîm.

Ète ha-chamayim wé-ète ha-arèts :

Ces deux éléments «ciel et terre» ont été au début de la création. Pourtant chamayim, , se décompose en èche, , feu et mayim, , eau! Pourquoi le texte ne donne-t-il pas d'information sur la création de ces deux éléments constitutifs des cieux?

Ète ha-chamayim,  

Or ha-Hayim, , réfutant l'explication de Bérèchit comme étant «au commencement de la création du ciel et de la terre» tente de montrer la grandeur du Créateur qui, par le premier verbe, la première parole Bérèchit, avait tout créé. En effet, le contraire serait impossible à comprendre étant difficilement en accord avec le texte. Car chamayim est déjà composé de Èche, , feu, et mayim, , eau, deux éléments qui n'étaient point jusqu'alors créés. Il cite à l'appui le texte du décalogue(29) : «Alors D'ieu prononça toutes ces paroles», c'est-à-dire, «Il avait dit en une parole tous les dix commandements» ce qu'aucune bouche ne peut exprimer. Tout ce que le Créateur avait l'intention de créer le fut à la première parole qui est Bérèchit. Aussi le ète, , qui accompagne les cieux et la terre signifie «ainsi que tout ce qu'ils renferment». Mais si D'ieu avait procédé à d'autres créations durant les jours suivants, ce fut surtout pour mettre de l'ordre dans son monde. Il en veut pour preuve le texte(30) :
«D'ieu bénit le septième jour et le proclama saint, parce qu'en ce jour il se reposa de l'oeuvre entière qu'il avait créée [le jour de la création] et organisée [pendant les six jours].»

Or ha-Hayim explique ainsi l'emploi de Bérèchit. Se basant sur le texte(31) : «Par la parole de l'Ét'ernel les cieux se sont formés, par le souffle de sa bouche, toutes leurs milice», il se demande comment nos Maîtres peuvent-ils affirmer que les créatures célestes ont été créées au deuxième jour pour éviter à l'homme l'erreur de dire qu'elles ont contribué à la création du monde. Le texte stipule, en effet, qu'elles ont été créées par le souffle de sa bouche qui, lui, est antérieur et précède la parole. Mais Bérèchit dont le sens est aussi parole divine atteste que le Créateur a usé de la parole avant le souffle afin que les «êtres célestes» ne puissent pas dire qu'ils ont participé à la création. Au début, les cieux et la terre furent créés par la parole ce n'est qu'ensuite que furent créés les «êtres célestes» par le souffle qui précède normalement la parole.

Or, la terre n'était que solitude et chaos; des ténèbres couvraient la face de l'abîme, et le souffle de D'ieu planait sur la face des eaux.

La terre était solitude et chaos,

Quel besoin de nous renseigner sur ce que la terre était avant la création de la lumière?
À partir des six jours de la création, le monde n'a pas subi, il est vrai, de changement. Le soleil continue toujours à se lever à l'Est et se coucher à l'Ouest. Cette information devient nécessaire car si les réchaîm contribuaient par leurs mauvaises actions à jeter le monde dans le chaos, ce ne sera nullement un changement ni une nouveauté. Ce sera seulement le retour du chaos originel. L'ordre de la Création ne sera maintenu que si Israël et les tsaddiqim consentent à jouer ce rôle par leur conduite et par l'étude de la Tora.

D'ieu dit : «Que la lumière soit!» Et la lumière fut.

Et la lumière fut,

Pour quelle raison n'a-t-on pas dit «et ce fut ainsi» comme pour la plupart des choses créées? Dans ce texte il est écrit cinq fois le terme Or, , et dans le texte traitant des luminaires, le quatrième jour, il est dit cinq fois Maor, . Pourquoi?

Rambane remarque, en effet, l'emploi de l'expression «et la lumière fut» au lieu de «ce fut ainsi», . L'expression «ce fut ainsi» suggère, dit-il, que la lumière initiale de la création est celle que nous avons en ce moment alors qu'elle n'a été en service que jusqu'au quatrième jour de la création, jour où furent créés les luminaires.

Rachi dit que cette lumière ne devait pas être au service des réchaîm, c'est pourquoi D'ieu l'avait mise en réserve pour la fin des temps.

C'est cette voie qu'emprunte , Maor Wa-Chèmèche. La Tora évite de préciser ce fut ainsi pour ne pas risquer de voir les réchaîm utiliser cette lumière destinée aux seuls tsaddiqim.
Ainsi pour cette raison trouvons-nous cinq fois le terme or, , lumière, le premier jour et, parallèlement cinq fois le terme maor, , luminaire, le quatrième jour pour préciser que la lumière qui est en service, celle produite par le soleil, la lune et les étoiles, n'est que le reflet de cette première lumière qui est gardée en réserve pour les tsaddiqim.

D'ieu considéra que la lumière était bonne, et il établit une distinction entre la lumière et les ténèbres.

Il établit une distinction entre la lumière et les ténèbres.
   .


Cette information paraît de prime abord inutile puisque le jour sera le règne de la lumière et la nuit celui des ténèbres. Pourquoi alors l'avoir mentionnée?

Rachi explique qu'il n'est point convenable ni esthétique que la lumière et les ténèbres servent confusément.

Mais Sforno, , souligne, tout en étant d'accord avec l'opinion de Rachi, que le jour et la nuit connaissent une distinction, pendant les quatre premiers jours, par la seule volonté du Créateur. Pendant ces quatres jours, la durée du jour et de la nuit a été marquée non par l'exercice du soleil et de la lune qui n'étaient pas en fonction, mais par la volonté divine.

D'ieu appela la lumière Jour, et les ténèbres, il les appela Nuit. Il fut soir, il fut matin, un jour».

Yom èhad, , un jour.

Pourquoi ne pas employer yom richone, , premier jour, comme pour les autres jours où le nombre ordinal est employé?
En ce premier jour D'ieu était unique en son monde. Kéli Yaqar, , souligne qu'il faut absolument affirmer l'unicité de D'ieu créateur du jour et de la nuit pour combattre les croyances manichéennes qui enseignent l'existence d'un dieu créateur de la lumière distinct du créateur des ténèbres, dieu du mal distinct du dieu du bien.

Pour nous, D'ieu est èhad, , unique. Il ne saurait exister d'autres divinités. Au-delà du récit de la Création, la Tora vise de nous imprégner de l'existence de D'ieu et de Sa Providence. Aussi dans nos prières devons-nous mentionner le jour comme la nuit que D'ieu est le créateur à la fois du jour et de la nuit, de la lumière et des ténèbres.






La création de l'homme


«D'ieu dit : «Faisons l'homme à notre image, à notre ressemblance, et qu'il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail enfin sur toute la terre, et sur tous les êtres qui se meuvent.» D'ieu créa l'homme à son image. C'est à l'image de D'ieu, qu'il le créa Mâle et Femelle furent créés à la fois. D'ieu les bénit en leur disant : «Croissez et multipliez! Remplissez la terre et soumettez-la! Commandez aux poissons de la mer, aux oiseaux du ciel, à tous les animaux qui se meuvent sur la terre(32)

Avec la création de l'homme, D'ieu met un terme à son oeuvre créatrice. Après que D'ieu eût créé la lumière, séparé les eaux qui sont au-dessous des eaux qui sont au-dessus et formé le ciel; après la création de toute les espèces animales, il décida de procéder, à celle de l'être humain. En vérité la création de l'homme justifie toute la création du monde. Aussi pour cette raison l'homme constitue-t-il la conclusion de toute l'oeuvre divine.
Cependant la création de l'homme n'a pas manqué de soulever des difficultés tant au niveau des mal'akhim, , qu'au niveau de la Tora, , qui s'opposent à une telle création.

Les Pirqè de Rabbi Èliêzèr(33) , rapportent :
«Le Saint béni soit-Il dit à la Tora : «faisons l'homme». Elle répondit : «Maître du monde : Certes, l'homme, ayant la vie courte et remplie de souffrances, est enclin à fauter! Si tu n'es point longanime, il lui semblera comme n'étant jamais passé par le monde. Et D'ieu de répliquer : Est-ce en vain que Je suis longanime et miséricordieux! Aussitôt il s'empare du sable des quatre coins du monde : rouge, noir blanc et jaune. Le rouge pour le sang, le noir pour les entrailles, le jaune pour le corps. Et pourquoi des quatre coins du monde? Si jamais l'homme, allant de l'Est à l'Ouest, venait à quitter le monde, la terre ne pourrait pas dire au sable constituant son corps : tu ne m'appartiens pas, retourne à l'endroit d'où tu fus créé! Partout où se trouve l'homme, ce sera là son origine. C'est à elle qu'il retourne.

Ce midrache montre que D'ieu tient à créer l'homme bien qu'ayant une nature faible. Sans l'homme, le monde n'aurait aucun sens. D'ieu s'attend justement aux écarts de conduite de l'homme. Cependant il s'arme de patience, de longanimité et de clémence pour pouvoir assurer une existence aussi bien à l'homme qu'au monde.
Cependant il est intéressant de constater que la Tora, but ultime de la création puisque l'homme n'a été créé que pour étudier et appliquer la Tora invoque la longanimité et la clémence divines face à l'inconstance de l'homme. Privé de son partenaire qui doit la mettre en pratique, la Tora sera, à coup sûr, lettre morte. Mais il est une situation encore plus dramatique : celle où l'homme décide de ne pas se consacrer à la Tora. Il remet du coup en question l'existence du monde. La création n'est effective que le jour où Israël s'engage pleinement à recevoir la Tora. C'est là le danger qui guette le monde. La Tora, par son plaidoyer, tente d'éviter ce danger si jamais Israël venait à renoncer à l'étude de la Tora. Aussi invoque-t-elle la compréhension et la clémence de D'ieu.
Tout compte fait, il appert que D'ieu malgré toutes les oppositions, voulait absolument procéder à la création de l'homme. En effet, le midrache(34) affirme :
«Rabbi Bérakhiya dit : «Voulant créer le premier homme, le Saint Béni soit-Il vit qu'il est appelé à donner naissance à des justes et à des impies. Que fit-il? Il éloigna les impies de devant Lui et, s'associant la clémence, Il le créa ainsi qu'il est dit(35) :
«Car l'Ét'ernel protège la voie des justes, mais la voie des méchants conduit à la ruine.» La voie des méchants, D'ieu l'a fait disparaître de devant lui.
Rabbi Hanina dit : ce n'est point ainsi! Le Saint béni soit-Il prit l'avis des anges serviteurs à propos de la création de l'homme. Quelle est, demandent-ils, sa particularité? Il répondit : des justes descendront de lui tel qu'il est écrit : «Car l'Ét'ernel connaît la voie des justes», il a fait connaître(36) la voie des justes aux anges serviteurs. En revanche «la voie des méchants conduit à la ruine», il l'a fait disparaître c'est-à-dire il n'a point révélé [aux anges] que l'homme donnera aussi naissance à des méchants.»

Il semble que la création de l'homme tourne autour du problème de l'existence du juste. C'est le juste qui justifie toute la création. Car en s'abstenant de créer l'homme à cause de l'existence des impies, le monde sera de ce fait privé de celle du juste. Aussi D'ieu fait-il tout pour neutraliser l'opposition des anges serviteurs.
Le midrache poursuit :
«Rabbi Simoune dit : aussitôt les anges serviteurs se formèrent en groupes et en clans tel qu'il est dit(37) :
«La volonté et la vérité se donnent la main la justice et la paix s'embrassent.» La bonté dit : qu'il soit créé car l'homme sera bienfaiteur. La vérité dit : qu'il ne soit point créé car il est tout mensonge. La justice dit : qu'il soit créé car il sera charitable. La paix dit : qu'il ne soit point créé car il sera la source de conflits.
Rav Houna, maître de Tsippori, dit : «Pendant que les anges serviteurs discutaient, le Saint béni soit-Il le créa. Il leur dit : Pourquoi discutez-vous? L'homme est déjà créé!»

Certes la volonté de D'ieu est de toute évidence pour la création de l'homme et ce, malgré tous les avis défavorables et oppositions émis par la Tora et les anges. Pourquoi alors D'ieu s'applique-t-il à réclamer leur avis si de toutes les manières il n'entend point en tenir compte?
L'homme occupe une place privilégiée dans la création. Parfois il supplante les mal'akhim puisqu'il possède le pouvoir de diriger sa conduite morale et l'orienter selon sa volonté. La liberté constitue un privilège. Elle lui confère une importance qui dépasserait celle de l'ange. En cherchant à prendre l'avis des mal'akhim, , D'ieu neutralise leur opposition ainsi que leur hostilité à l'homme qu'ils n'auraient pas manqué de manifester.
L'homme est pétri de contradictions : plein de bonté et de bienveillance, il sera capable de perfidie, de mensonge et d'infidélité; charitable et serviable, il aura tendance à se quereller et à perpétuer la division dans la société. Mais son existence est à ce prix : capable du meilleur et du pire, du bien et du mal.
La nature de l'homme est ainsi faite. Il devra développer le bien et s'écarter du mal. C'est cette mission qu'il aura à accomplir durant son existence. La Tora sera là pour l'aider à s'élever et pour être à l'image et l'égal des anges serviteurs.

Le Midrache Tanhouma, , citant(38) :
«L'Ét'ernel D'ieu dit : «Voici l'homme devenu comme l'un de nous, en ce qu'il connaît le bien et le mal» rapporte : c'est bien ce que le texte exprime(39) :
«Seulement voici ce que j'ai trouvé : c'est que D'ieu a fait les hommes pour être droits». Le Saint béni soit-Il, appelé juste et droit, n'a crée l'homme à son image que dans le but de le voir juste et droit comme Lui. Et si tu objectes pourquoi avoir créé le yètsèr ha-râ, , à propos duquel il est écrit(40) :
«Car les conceptions du coeur de l'homme sont mauvaises dès son enfance» et que tu te dises puisqu'il est mauvais qui pourrait le rendre bon? Le Saint béni soit-Il répond : c'est bien toi qui le rends mauvais? Comment se fait-il qu'un enfant âgé de cinq, six, sept, huit et neuf ans ne faute point? Mais à partir de dix ans, il commence à élever en lui le yètsèr ha-râ. Et si tu penses que l'homme ne saurait se contrôler, le Saint béni soit-Il oppose à cela : c'est bien toi qui le rends mauvais car étant enfant tu n'avais point fauté. En grandissant tu t'es rendu coupable de fautes.»

L'homme ne peut accuser le Créateur de l'avoir handicapé par la présence du yètsèr ha-râ. Celui-ci est bon puisqu'il aide l'homme à atteindre la perfection et s'élever au niveau des mal'akhim. Le yètsèr ha-râ n'est mauvais que par la volonté de l'homme. Le bon usage du yètsèr ha-râ le rendra bon. Le midrache souligne, en effet, «Combien de choses amères, l'homme arrive à les rendre douces?» Voilà donc l'homme réhabilité face à toutes les oppositions qui se sont levées à l'occasion de sa création. Étant créé à l'image de D'ieu, il ne peut qu'être juste, parfait et droit, comme son Créateur. Étant potentiellement capable d'être bon et parfait, il justifie amplement la création.

D'ieu dit : «Faisons l'homme à notre image, à notre ressemblance, et qu'il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail enfin sur toute la terre, et sur tous les êtres qui se meuvent.

Naâssè, , faisons.

Ce pluriel jette un trouble. A qui D'ieu s'adresse-t-il pour obtenir son accord à propos de la Création de l'homme? Pourquoi justement lors de la Création de l'homme D'ieu prend-Il une telle précaution? N'y aurait-il pas justement danger à laisser croire, que le Créateur n'est pas Un?

Pour Rachi, l'emploi du pluriel nous enseigne la modestie du créateur.
«L'homme étant à l'image des êtres célestes, ceux-ci auraient pu être jaloux. Aussi D'ieu a-t-Il pris soin de les consulter... Ici D'ieu prend également avis et demande l'autorisation auprès de sa cour. Il leur dit : dans les mondes supérieurs, il y a des êtres à Mon image. S'il n'y a pas dans les mondes inférieurs d'êtres à mon image, il y aurait jalousie, déséquilibre, dans l'oeuvre de la création.»

Rambane, se basant sur une explication de Rabbi Yossèf Qimhi, dit que D'ieu voulait associer la terre à la création de l'homme. De la terre, l'homme tire le corps, le physique qui est matériel tel qu'il est dit plus loin(41) : «L'Ét'ernel D'ieu, façonna l'homme - poussière détachée du sol» En revanche, le Créateur lui assure l'âme tel qu'il est dit : «Il fit pénétrer dans ses narines un souffle de vie».
Ainsi l'homme participe de la terre par son corps et des êtres célestes par son âme. Le pluriel pour Rambane se justifie car D'ieu, s'adressant à la terre, lui demande de participer à la création de l'homme.

Or ha-Hayim pense que ce pluriel fait allusion aux attributs de Clémence qui, au nombre de 13, s'associent à la Rigueur divine pour procéder à la Création de l'homme. Mais il ne saurait s'agir d'un créateur autre que D'ieu qui crée et forme l'homme puisque le texte précise justement «D'ieu créa l'homme» c'est-à-dire D'ieu qui est unique crée l'homme.

C'est à une conclusion semblable que Rachi aboutit et ce dans le but de nous enseigner la modestie de D'ieu. Il dit en substance :
«Bien que personne n'ait aidé D'ieu dans l'oeuvre de la création et les hérétiques pourraient tirer partie de ce pluriel contre le monothéisme la Tora n'a pas voulu manquer de donner une leçon et d'enseigner la vertu de modestie : le supérieur doit prendre des avis et demander autorisation auprès de son inférieur. Si la Tora avait écrit : je ferai l'homme, cela ne nous aurait pas appris que D'ieu a consulté «son conseil» mais qu'il a formé son projet seul. Mais la réponse aux hérétiques est donnée dans le verset qui suit immédiatement : «Et D'ieu créa l'homme» Le texte ne dit pas : Et ils créèrent.»

Cette précaution divine de demander avis à son conseil montre, dit Kéli Yaqar, à quel point l'homme constitue une créature exceptionnelle. Ainsi le texte administre-t-il la preuve de la place privilégiée qu'occupe l'homme au sein de la création.

Pour Mèâm Loêz, ce pluriel répond au souci du Créateur d'enseigner aux mal'akhim eux-mêmes la vertu de modestie. En effet, lorsque le cinquième jour, D'ieu créa les oiseaux et les poissons, les anges avaient conçu de l'orgueil. Ils se sont dit : «nous sommes mieux que toutes ces créatures.» Pour battre en brèche leur orgueil, D'ieu demande aux anges : «Faisons un homme» c'est-à-dire «que chacun montre de quoi il est capable en créant l'homme.» N'ayant pu le créer, le texte précisant, en effet, D'ieu créa l'homme, ils comprirent qu'ils avaient péché par orgueil.

Tsalmènou, démoutènou, , , notre image, notre ressemblance.
Plus loin le texte dit :
«D'ieu créa l'homme à son image»,
,


Pour quelle raison omet-il de mentionner à sa ressemblance?
Que signifie tsèlèm, et démoute, ?

L'image, pour Rachi, est le modèle, la ressemblance est l'intelligence. Alors que Rambane dit, l'image est la Majesté et la Gloire que l'homme tient des êtres célestes et supérieurs qui trouvent leur expression dans ses aptitudes à la sagesse, l'intelligence et son savoir pratique. La ressemblance est la matière par laquelle il se rattache à la terre.

Pour Sforno, l'image est l'intelligence qui se rattache à l'âme. Celle-ci n'est pas périssable, elle est éternelle.

A notre ressemblance : les anges n'étant pas dotés de liberté, ils sont au contraire déterminés et conditionnés, l'homme ressemble à D'ieu en ce sens qu'il est pourvu du pouvoir de liberté. Cependant la différence est que la liberté divine agit toujours pour le bien tandis que l'homme possède le pouvoir de l'utiliser pour le mal. Aussi pour cette raison dira-t-il : comme notre ressemblance, c'est-à-dire que l'homme ne possède point la ressemblance divine véritable.

Cependant en relatant la création de l'homme, le texte ne se contente pas de dire : «D'ieu créa l'homme à son image»; plus encore, il le souligne bien : «c'est à l'image de D'ieu qu'il le créa».
Pour Rambane, il n'était point nécessaire de préciser «à sa ressemblance» puisque ce terme fait référence à la terre qui lui fournit la constitution physique.

Or ha-Hayim constate que le verset fait allusion à l'homme en général qui bénéficie de l'image commune à tous les hommes même dépourvus de sainteté. Aussi le verset précise-t-il dans ce cas à son image. Tandis que l'autre image, l'image de D'ieu, est réservée aux Bénè Yisraèl dont la sainteté leur assure les deux images : l'une reconnaissable parce que l'homme est différent de la bête et l'autre, plus spirituelle, est personnelle.

Wé-yirdou, , qu'il domine.

S'agissant d'un homme, le texte devait conjuguer plutôt wé-yird, , au singulier!
Le pluriel se justifie, car D'ieu a créé l'homme, Mâle et Femelle. Cependant ce terme, pour Rachi, présente la particularité d'exprimer deux réalités. Il exprime en effet ridouï, , domination, mais aussi yérida, , déchéance. Aussi, méritant, l'homme domine-t-il la bête. Déméritant, il descend plus bas que la bête.

Qu'il domine sur les poissons, sur les oiseaux, sur le bétail,
  .


Pourtant plus loin(42), le texte dit :
«Que votre ascendant et votre terreur soient sur tous les animaux de la terre et sur tous les oiseaux du ciel : tous les êtres dont fourmille le sol, tous les poissons de la mer..»;
l'ordre n'a pas été donc respecté puisque les poissons viennent en dernier. De même David avait inversé cet ordre disant(43) :
«Tu lui as donné l'empire sur les oeuvres de tes mains, et mis tout à ses pieds : brebis et taureaux, tous ensemble, et aussi les bêtes des champs, oiseaux du ciel et poissons de la mer.»
De plus il y a lieu de remarquer que notre texte, parle de dominer, celui de la sidra de Noah ascendant et terreur alors que David parle d'avoir l'emprise. Pourquoi donc ce changement?

Kéli Yaqar voit dans le changement des termes, l'idée que l'homme peut, grâce à ses mérites, dominer des créatures qui normalement échappent à son contrôle. Ainsi les poissons parce qu'ils vivent dans l'eau échappent à la vue et au contrôle de l'homme. Les oiseaux sont visibles, et bien que volant dans les airs, peuvent être atteints par ses flèches. Le bétail par contre est plus accessible à l'homme. Néanmoins l'idée de démérite est aussi exprimée car si l'homme connaît la déchéance cela pourrait atteindre le degré le plus bas, celui d'être moins que la bête.
Le texte de Noah et de Téhillim ne parlant pas de domination pouvant se transformer en déchéance n'avaient point à suivre l'ordre de notre texte. Bien au contraire ils observent l'ordre naturel celui qui fait état du contrôle normal de ces éléments qui va du simple au complexe : bétail, oiseaux, poissons.

Or ha-Hayim retient l'idée de déchéance. Il parle en fait de la dégradation morale de l'homme. Déméritant et désobéissant, l'homme entame une chute qui le mène du niveau du poisson, à celui des oiseaux pour atteindre celui du bétail. Ainsi le niveau du poisson symbolise la chute la plus légère car le poisson ne nécessite pas d'abattage. Réparer ce mal est relativement plus facile. Mais si le mal est plus aigu, la chute sera du niveau de l'oiseau dont l'abattage nécessite de trancher au moins un des deux tubes, l'oesophage ou la trachée artère. La réparation morale est ici plus rigoureuse. Enfin le mal étant plus grave, la déchéance atteint le niveau de l'animal dont l'abattage nécessite de trancher les deux tubes. La réparation est donc plus sévère et plus laborieuse. Plus l'homme se dégrade et plus grande sera sa déchéance. Le niveau le plus bas sera celui des reptiles qui rampent sur la terre.

D'ieu les bénit en leur disant : «Croissez et multipliez! remplissez la terre et soumettez-la! Commandez aux poissons de la mer, aux oiseaux du ciel, à tous les animaux qui se meuvent sur la terre!

D'ieu les bénit,

Qu'ajoute cette bénédiction de plus qui n'était point inclus dans le projet de la création?

Rambane souligne qu'il s'agit maintenant de bénédiction puisque D'ieu l'exprime clairement. Le verset d'ailleurs le souligne : «Et il leur dit», . La bénédiction est explicite en ce sens que l'homme doit procréer et remplir la terre. Le monde comportera plusieurs nations et peuples.

Pour Or ha-Hayim la bénédiction consiste à assurer la pérennité du genre humain qui ne disparaîtra jamais.

Soumettez-la,

La terre ne sera soumise à l'homme que si le genre humain se multiplie et remplisse la terre. Le désert, parce qu'il est inhabité, échappe au contrôle et à l'emprise de l'homme.
Ainsi l'homme en tant qu'aboutissement de la création pourrait avec son mérite et sa conduite morale hisser la création à un niveau de perfection morale élevé, assurant ainsi l'existence du monde.












La création et le créateur


Le midrache(44) rapporte :
«Telles sont les origines du ciel et de la terre, lorsqu'ils furent créés, à l'époque où l'Ét'ernel D'ieu fit une terre et un ciel(45) Rabbi Néhèmya enseigne : [Le ciel et la terre] furent créés, en un jour, et en ce jour apparurent tous leurs éléments.
Rabbi Yéhouda rétorque : N'est-il pas spécifié(46) :
«Il fut soir, il fut matin - un jour»; ainsi pour le second jour, le troisième jour, le quatrième jour, le cinquième jour et le sixième jour?
Rabbi Néhèmya répond : telle la cueillette des figues, chaque élément apparut en son temps».
C'est à ce propos que Rabbi Bérakhiya dit : le texte précise(47) :
«La terre donna naissance aux végétaux», [elle livre] ce qu'elle avait en dépôt.»

Ce midrache donne une fois de plus l'occasion à Rabbi Néhèmya et à Rabbi Yéhouda d'exprimer leurs divergences d'opinions à propos des thèmes de la Création.

Pour Rabbi Néhèmya, la création du monde s'est faite dès l'instant où D'ieu a prononcé le verbe créateur. Le monde et tout ce qu'il renferme furent créés. Telles des figues apparaissant dans l'arbre en un jour, les cieux et la terre furent créés avec tous leurs éléments. Il s'agissait d'ordonnancer et de mettre en place, chaque jour, tous les éléments de la Création.

Selon Rabbi Yéhouda, chaque jour D'ieu avait procédé à une création nouvelle. Opinion très commode mais qui soulève maintes difficultés. En effet, nos Sages affirment que chamayim, , cieux, est composé de èche, , feu, et mayim, , eau. Comment pourrait-on parler de la création des cieux avant même de confirmer la création de ces deux éléments constitutifs?

Rabbi Bérakhiya semble abonder dans le sens de Rabbi Néhèmya. Le verset cité en preuve montre que la terre renfermait les éléments qu'elle laisse apparaître à la demande de D'ieu.

Bien plus, l'opinion de Rabbi Néhèmya permet de préciser, sans crainte d'être contredit par les théories scientifiques, l'âge du monde. L'origine du monde est située à 5755 années. Cependant, au premier instant de la Création, le monde et tout ce qu'il renferme apparut. Il ne manquait que la mise en place et la mise en ordre.
Cependant on ne saurait attribuer l'origine de chaque élément créé au premier instant de son existence réelle. L'origine remonte en réalité à l'instant premier de la Création. Le temps écoulé entre ces deux instants est estimé certes par les scientifiques à des millions d'années qui se résument à quelques instants dans l'acte créateur. À l'époque où l'on arrive à raccourcir les distances par des moyens de transport aux vitesses toujours plus grandes, on pourrait aisément imaginer l'accélération du processus de maturation des éléments du monde obéissant à la volonté du Créateur.

Le Talmoud rapporte(48) :
«César dit à Rabbane Gamlièl : Celui qui créa les montagnes n'a pas créé le vent tel qu'il est dit(49) :
«Car c'est lui qui a formé les montagnes et créé le vent.
Il répondit : «Dès lors qu'il est dit à propos de l'homme «il créa», «il forma», celui qui crée ceci n'a pas créé cela? L'homme [a un visage] dont la surface d'un palme sur un palme comporte deux orifices. Celui qui créa l'un n'a pas créé l'autre? tel qu'il est dit(50) :
«Celui qui a planté l'oreille n'entendrait point? Celui qui a formé l'oeil ne verrait point?
En effet! répondit-il. Alors [Rabbane Gamlièl] reprit : et au moment de la mort, les deux se réconcilient?!»

Ce texte bat en brèche toute tendance à croire qu'il existe plus d'Un Créateur. Il est impossible, comme nous l'enseigne Rabbi Bahya Ibn Paqoda, de penser que plusieurs créateurs ont participé à la Création. L'unité du monde et son harmonie ne sauraient exister du fait de la divergence inhérente aux volontés différentes et opposées des divers créateurs. En revanche le monde révèle, bien au delà de la diversité, un créateur unique qui imprime à son monde des lois et des phénomènes immuables.
Ce n'est pas un hasard si César relève la création des montagnes et la formation des vents. Ce sont deux éléments puissants qui se neutralisent et s'opposent. Les montagnes forment un écran pour le vent. Cependant cette contradiction révèle, bien au contraire, D'ieu dans toute sa puissance. Chaque élément trouve sa place dans la création et remplit la mission qui lui est dévolue. Ce qui est valable dans des proportions énormes le serait davantage dans celles encore plus réduites. On ne saurait imaginer deux créateurs différents l'un pour les yeux et l'autre pour les oreilles. Car comment fonctionneraient-ils avec autant de précision, d'harmonie et surtout, au moment du décès, comment cesseraient-ils de concert s'ils ne relevaient pas du même créateur?

Le midrache rapporte(51) :
«Un mécréant demande à Rabbi Âquiba : Qui a créé le monde?
Le Saint béni soit-Il! :
Donne-moi une preuve éclatante!
Reviens me voir demain,
S'étant présenté le lendemain, Rabbi Âquiba lui demande :
Que portes-tu?
Un vêtement!
Qui l'a fait?
Le tisserand.
Rabbi Âquiba lui dit : Je ne te crois pas. Donne-moi une preuve!
Quelle preuve ai-je à te fournir, répond-il, ne sais-tu pas que le tisserand a fait [ce vêtement]?
Et Rabbi Âquiba de reprendre : Ne sais-tu pas que le Saint béni soit-Il a créé son monde? Après le départ du mécréant, les disciples s'informèrent : quelle est donc cette preuve évidente? Il leur dit : «Mes fils, de même que la maison révèle le maçon, l'habit le tisserand et la porte le menuisier, ainsi le monde révèle le Saint béni soit-Il en tant que Créateur!».

La preuve de l'existence du Créateur que l'homme recherche toujours est clairement inscrite dans le monde. L'homme passe souvent à côté de cette évidence. Et pourtant! L'unité et l'harmonie du monde ne sauraient être que l'oeuvre d'un créateur qui a conçu et formé son monde selon les objectifs qu'Il lui a imprimés.
Ce qui surprend cependant dans ce texte c'est la raison du report au lendemain pour fournir la réponse. Pourquoi Rabbi Âquiba ne lui répond-il pas sur le champ?
En vérité, Rabbi Âquiba n'avait nullement envie de répondre à un mécréant exigeant une preuve de l'existence de D'ieu alors que l'évidence suffit. Un homme qui cherche ailleurs ce qu'il peut trouver à côté ne mérite pas qu'on lui accorde toute l'attention requise. Cependant, afin de ne pas lui donner à croire que sa question est sans réponse, Rabbi Âquiba le renvoie au lendemain. Ainsi pourrait-il songer aux recherches laborieuses auxquelles ne manquerait pas Rabbi Âquiba de s'adonner. Mais quelle ne fut pas son humiliation de s'entendre dire qu'il n'est point de preuve pour attester que le tisserand est l'auteur de l'habit. Ainsi point n'est besoin de preuve pour s'assurer que D'ieu est l'auteur du monde.
Ainsi disait David(52) : «Les cieux racontent la gloire de D'ieu, et le firmament proclame l'oeuvre de ses mains».



Références :

15. Bérèchit 1, 1-5.
16. Chémot 12, 2.
17. Téhillim 111, 6.
18. Dévarim 4, 39.
19. Dévarim 6, 4.
20. Néhèmya 9, 6.
21. Guide des Égarés vol. I chap. 72.
22. Michelè 8, 22.
23. Yirmiya 2, 3.
24. Âvoda Zara 3a et Chabbat 88a.
25. Bérèchit 2, 4.
26. Traduction araméenne de Jérusalem.
27. Téhillim III, 10.
28. Bérèchit 2, 4.
29. Chémot 20, 1.
30. Bérèchit 2, 13.
31. Téhillim 33, 6.
32. Bérèchit 1, 26-28.
33. cf. Pirqè de Rabbi Èliêzèr. Voir également Yalqout Chimôni, , paragr. 13.
34. Bérèchit Rabba, , chap. 8.
35. Téhillim 1, 6.
36. Le midrache emploie hodiâ, , au lieu de yodèâ, .
37. Téhillim 85, 11.
38. Tanhouma paragr. 7, sur Bérèchit 3, 22.
39. Qohèlète 7, 29.
40. Bérèchit 8, 21.
41. Bérèchit 2, 7.
42. Bérèchit 9, 2.
43. Téhillim 8, 7-9.
44. Bérèchit Rabba paragr. 12.
45. Bérèchit 2, 4.
46. id. 1, 5.
47. ibid. 1, 12.
48. T.B. Sanhèdrine 39a.
49. Âmos 4, 13.
50. Téhillim 94, 9.
51. cf. Témoura.
52. Téhillim 19, 2.



LA PREMIERE FAMILLE ET LE PREMIER MEURTRE
(Ci-contre : expulsion du Paradis, fresque murale de Masaccio, Florence 1428)

Adam et Eve après leur expulsion du jardin, ont deux fils:Caïn, le cultivateur, et Abel, le berger. En temps voulu, chacun apporte son offrande à Dieu. Celle d’Abel est acceptée mais pas celle de Caïn. Ce texte sera interprété comme un exemple de la rétribution des justes, en récompense de leur foi. Selon cette interprétation, ce n’était pas "ce que" Abel offrait mais sa foi, qui rendait son don acceptable (Lire : Heb 11.4).. Du point de vue strictement historique, ce n’est bien sûr pas l’interprétation qu’il faut retenir. Nous verrons plus loin ce que l’on peut, sur ce plan, tirer de l’histoire. Nous verrons aussi que ce texte cache d’autres choses qui ont trait à la symbolique, et qui ne sont pas sans liens avec certaines mythologies, comme par exemple celle de la Grèce Antique…

LE TEXTE (ici, celui de la NBS. Pour l’hébreu, il s’agit de la BHS.)

4:1 L'homme eut des relations avec Eve, sa femme; elle fut enceinte et mit au monde Caïn. Elle dit : J'ai produit un homme avec le SEIGNEUR.


rh;T;w: ATv.ai hW"x;-ta, [d;y" ~d'a'h'w> 4:1
`hw"hy>-ta, vyai ytiynIq' rm,aTow: !yIq;-ta, dl,Tew:

« L’homme » : ADAM, ~d'a'h' , littéralement « De terre rouge ». 
Adam . Le mot hébreu:'adam (540) se rattache à 'adamah "sol, terre rouge cultivable ",  . Habituellement il est traduit par le collectif l'homme ou les humains. L'expression française fils d'Adam hébreu:ben 'Adam (108, dont 93 dans Ez) ou, au pluriel, bene (ha)'Adam (47) que l'on trouve telle quelle, surtout dans les textes poétiques, Nb 23,19;  Ps 8,5;  80,18.   ;  Si 40,1, peut aussi bien se traduire par un homme, un humain, des hommes, des humains. 

« Connut Eve » :hébreu:Havvah, hW"x;  , Vivante ? (cf. Yehiel), " tirée de l'humain " et " bâtie " par Dieu, Gn 2,22;  cf. 1 Tm 2,13, " aide assortie " à l'homme, " os de ses os et chair de sa chair", 2, I9-20.  23;  cf. Tb 8,6, " mère de tous les vivants ", Gn 3,20, " séduite par la ruse du serpent ", 2 Co 11,3;  1 Tm 2,14;  Gn 3,1-6;  cf. Si 25,24, mère de Caïn et d'Abel, Gn 4,1.  Eve est avec Adam l'ancêtre éponyme de l'humanité, cf. Gn 1,26-27;  1 Co 11,8-12. 

« L’homme eut des relations… » : En hébreu, le verbe YADA’, [d;y" , signifie « connaître », au sens le plus intime et profond du terme. Il est couramment employé pour désigner les relations sexuelles, mais il est surtout usité pour décrire la connaissance profonde que Dieu a des choses et des êtres.

« Elle mit au monde… » : Littéralement : « elle enfanta ».

« Caïn » : !yIq   : Le mot est a mettre en parallèle avec le verbe QANA, qui signifie à la fois produire, créer et posséder. Il y a un jeu de mot ou une sorte de moyen mnémotechnique dans la phrase qui dit, littéralement : « elle enfanta le produit et s’écria ‘j’ai produit’ ».
Il faut noter aussi que le nom de Caïn est lié à toute production humaine qui s’ensuivra, tant du point de vue du bien que du mal, et qu’il est en lien direct avec le nom du pays de Canaan, et avec celui des Cananéens, qui sont de toute évidence « ceux qui possèdent le pays », c'est-à-dire une civilisation d’agriculteurs, à laquelle va s’opposer celle des nomades, éleveurs de petit bétail que sont les hébreux.

Cain  est l'ancêtre éponyme des Qénites. D'après le récit yahiste de Gn 4, il est fils premier-né d'Adam et d'Eve et frère d'Abel. Agriculteur, il jalouse son frère pasteur et le tue, 4,1-16;  cf. He 11,4. Il est le type du méchant, de "l'injuste ", Sg 10,3, meurtrier de " l'innocent " Mt 23,35;  1 Jn 3,12;  Jude 11. 

La descendance de Caïn, Gn 4,17-24  se décline comme une généalogie yahviste :
On trouve aussi, en lien avec le nom « Caïn », les occurrences suivantes :

  • Qénân , fils d'Énosh et père de Mahalaléel, Gn 5,9-14;  1 Ch 1,2 (généalogie sacerdotale), 
  • Kainam , ancêtre de Jésus, Lc 3,36. b.
  • La tribu de Qayîn ou les Qénites. Nomades frères des Rékabites, 1 Ch 2,55en relation avec les Madianites, cf. Jg 1,16 et Nb 10,29, alliés aux Amalécites,  1S 15,6, puis à Israël,  1S 30,29, ils sont dispersés, Nb 24,21-22:on en trouve dans la plaine de Yizréel, Jg 4,11, mais ils vivent surtout dans le Négeb de Juda, Gn 15,19;   1S 27,10 (Négeb des Qénites)

« J’ai produit un homme avec le Seigneur » : C'est-à-dire : « avec son aide ». Tout comme le verbe hébreu BARA, QANA signifie aussi créer, mais dans le sens précis de « procréer ».


4:2 Elle mit encore au monde Abel, son frère. Abel devint berger de petit bétail et Caïn cultivateur.
4:3 Après quelque temps, Caïn apporta du fruit de la terre en offrande au SEIGNEUR.
4:4 Abel, lui aussi, apporta des premiers-nés de son petit bétail avec leur graisse. Le SEIGNEUR porta un regard favorable sur Abel et sur son offrande;


!h,bel.x,meW Anaco tArkoB.mi aWh-~g: aybihe lb,h,w> 4
`Atx'n>mi-la,w> lb,h,-la, hw"hy> [v;YIw:

Nous sommes dans un récit Yavhiste, et dans une tradition qui est celle de peuples nomades, éleveurs de petit bétail, qui ont un Dieu qui les accompagne dans leurs transhumances, contrairement aux populations sédentarisées, qui ont une notion en général plus « locale » de leur divinité. Ces deux modes de civilisation qui se rencontrent n’ont pas toujours de très bonnes relations. C’est ce que le texte trahit dans l’acceptation de l’offrande d’Abel, opposée au refus de celle de Caïn.

« Abel » : lb,h, : Littéralement : « buée », c'est-à-dire quelque chose qui a peu de consistance, qu’on ne peut saisir, et qui ne dure pas. C’est le même mot qui est utilisé dans le second verset de Qohélet, qu’on traduit souvent par « vanité ».

lKoh; ~ylib'h] lbeh] tl,h,qo rm;a' ~ylib'h] lbeh] 2
`lb,h'

Abel est, par définition, le faible, en opposition à Caïn, qui est le « Possédant » et le « Producteur ».

Le mot vient sans doute de l’Akkadien aplu, qui signifie  « fils ». Cette provenance renforce encore la caractéristique Yavhiste du récit.

Abel , fils d'Adam et d'Eve, pasteur dont l'offrande plaît à Dieu, à l'inverse de celle de Caïn, son frère aîné. Jaloux, celui-ci tue son frère, Gn 4,2-16.  25;  cf. Sg 10,3;  Mt 23,3sP;  He 11,4;  1 Jn 3,12. D'après He 12,24, le sang de Jésus est "plus éloquent " encore que celui d'Abel.

4:5 mais il ne porta pas un regard favorable sur Caïn ni sur son offrande. Caïn fut très fâché, et il se renfrogna.
4:6 Le SEIGNEUR dit à Caïn : Pourquoi es-tu fâché ? Pourquoi es-tu renfrogné ?
4:7 Si tu agis bien, ne relèveras-tu pas la tête ? Mais si tu n'agis pas bien, le péché est tapi à ta porte, et son désir se porte vers toi; à toi de le dominer !
4:8 Caïn parla à Abel, son frère; comme ils étaient en pleine campagne, Caïn se jeta sur Abel, son frère, et le tua.
4:9 Le SEIGNEUR dit à Caïn : Où est Abel, ton frère ? Il répondit : Je ne sais pas. Suis-je le gardien de mon frère ?
4:10 Alors il reprit : Qu'as-tu fait ? Le sang de ton frère crie de la terre jusqu'à moi.
4:11 Maintenant, tu seras maudit, chassé de la terre qui a ouvert sa bouche pour recevoir de ta main le sang de ton frère.
4:12 Quand tu cultiveras la terre, elle ne te donnera plus sa force. Tu seras errant et vagabond sur la terre.
4:13 Caïn dit au SEIGNEUR : Ma faute est trop grande pour être prise en charge.
4:14 Tu me chasses aujourd'hui de cette terre; je serai caché, tu ne me verras plus, je serai errant et vagabond sur la terre; et si quelqu'un me trouve, il me tuera.
4:15 Le SEIGNEUR lui dit : Alors, si quelqu'un tue Caïn, on le vengera sept fois. Et le SEIGNEUR mit un signe sur Caïn pour que ceux qui le trouveraient ne l'abattent pas.
4:16 Puis Caïn se retira de devant le SEIGNEUR et s'installa au pays de Nod (« Vagabondage »), à l'est d'Eden.

Caïn tue Abel:

Il y a peu de la révolte à l’effusion du sang. Dieu le condamne à une vie nomade mais il lui assure protection contre la mort.

Les versets 17-24 énumèrent quelques descendants de Caïn et montrent les commencements de la vie civilisée.

Enoch construit la première ville.
Ses successeurs apprennent à jouer de la musique et à en jouir ; à forger aussi le fer et le bronze.

Mais tout comme le bien, fleurit le mal. Lemech épouse deux femmes et se vante devant elles du meurtre qu’il a commis et qui surpasse celui de Caïn. Les deux derniers versets donnent une lueur d’espoir. Adam et Eve ont engendré Seth et l’homme commence à "invoquer le nom du Seigneur".

4:17 Caïn eut des relations avec sa femme; elle fut enceinte et mit au monde Hénoch. Il se mit ensuite à bâtir une ville et appela cette ville du nom d'Hénoch, son fils.
4:18 D'Hénoch naquit Irad; Irad engendra Mehouyaël, Mehouyaël engendra Metoushaël, et Metoushaël engendra Lémek.
4:19 Lémek prit deux femmes : le nom de l'une était Ada et le nom de l'autre Tsilla.
4:20 Ada mit au monde Yabal : c'est lui le père de ceux qui habitent dans des tentes et ont des troupeaux.
4:21 Le nom de son frère était Youbal : c'est lui le père de tous ceux qui jouent de la lyre et du chalumeau.
4:22 Tsilla, de son côté, mit au monde Toubal-Caïn, qui forgeait tous les outils de bronze et de fer. La soeur de Toubal-Caïn était Naama.
4:23 Lémek dit à ses femmes :
Ada et Tsilla, écoutez-moi !
Femmes de Lémek, prêtez l'oreille à ma parole !
J'ai tué un homme pour ma blessure
et un enfant pour ma meurtrissure.
4:24 Si Caïn doit être vengé sept fois,
Lémek le sera soixante-dix-sept fois !
4:25 L'homme – Adam – eut encore des relations avec sa femme; elle mit au monde un fils et l'appela du nom de Seth (« Attribué »), car, dit-elle, Dieu m'a attribué une autre descendance à la place d'Abel, que Caïn a tué.
4:26 De Seth aussi naquit un fils qu'il appela du nom d'Enosh. C'est alors que l'on commença à invoquer le nom du SEIGNEUR (YHWH).
5:1 Voici le livre de la généalogie d'Adam. Le jour où Dieu créa les humains, il les fit à la ressemblance de Dieu.


Le problème de la femme de Caïn:

Le verset 17 et les versets 14-15 donnent l’impression d’une terre, dans une certaine mesure, déjà peuplée. Certains disent qu’on peut supposer qu’Adam et Eve eurent d’autres enfants. Il est sans doute plus juste de voir dans la création de l’Homme un fait général concernant l’humanité et non un « premier homme » qui serait l’ancêtre de tous les autres. Pour rappel, le mot hébreu « adam » désigne bien l’humanité dans son ensemble)
Quoi qu’il en soit, ne jamais oublier l’enseignement fondamental des autres écritures:c’est la désobéissance d’un seul homme qui a plongé toute la race humaine dans le péché, et l’a vouée à la mort (voir, par exemple, Lire : Romains 5. 12 sq.)



Après les deux récits de création, les débuts de l'humanité sont illustrés par l'histoire d'une famille. Le premier couple donne naissance à deux garçons, dont le récit met en scène les relations : l'aîné vit la présence de son jeune frère comme un rapport de forces qui va tourner au drame. Commençons par [ire le texte.
4,1 L'homme connut Eve, sa femme; elle conçut et enfanta Caïn et elle dit : a l'ai acquis un homme de par le seigneur. » 2 Elle donna aussi le jour à Abel, frère de Coin- Or Abel devint pasteur de petit bétail et Caïn cultivait le sol. 3 Le temps passa et il advint que Caïn présenta des pro­duits du sol en offrande au seigneur, 4 et qu'Abel, de son côté, offrit des premiers-nés de son troupeau, et même de leur graisse. Or le seigneur
agréa Abel et son offrande. 5 Mais iî n'agréa pas Caïn et son offrande, et Caïn en fut très irrité et eut le visage abattu.
6 Le seigneur dit à Caïn : « Pourquoi es-tu irrité et pourquoi ton visage est-il abattu ? 7 Si tu es bien disposé, ne relèveras-tu pas la tête ? Mais si tu n'es pas bien disposé, le péché n'est-il pas à la porte, une bête tapie qui te convoite ? pourras-tu la dominer ? » 8 Cependant Caïn dit à son frère Abel : « Allons dehors », et, comme ils étaient en pleine cam­pagne, Caïn se jeta sur son frère Abel et le tua.
9 Le seigneur dit à Caïn : « Où est ton frère Abel ? » /; répondit : « Je ne sais pas. Suis-je le gardien de mon frère ?» 10 Le seigneur reprit :
« Qu'as-tu fait ! Écoute le sang de ton frère crier vers moi du sol ! 11 Maintenant, sois maudit et chassé du sol fertile qui a ouvert la bouche pour recevoir de ta main le sang de ton frère. 12 Si tu cultives le sol, il ne te donnera plus son produit : tu seras un errant parcourant la terre. » 13 Alors Caïn dit au seigneur : « Ma peine est trop lourde à porter. 14 Vois ! Tu me bannis aujourd'hui du sol fertile, je devrai me cacher loin de ta face et je serai un errant parcourant la terre; mais, le premier venu me tuera ! » 15 Le seigneur lui répondit : « Aussi bien, si quelqu'un tue Caïn, on le vengera sept fois » et le seigneur mit un signe sur Caïn, afin que le premier venu ne le frappât point. 16 Caïn se retira de la présence du sejgneur et séjourna au pays de Nod, à l'Est d'Ëden.
Première approche du récit
Le texte a la forme d'un récit au passé, dans ce temps des origines pré­senté comme « au commencement » : temps fondateur, mais aussi « hors du temps ». Aucune indication sur le narrateur. Les dialogues entre Caïn et le Seigneur occupent près de la moitié du texte. L'intrigue concerne surtout le destin de Caïn, provoqué par Dieu à un discerne­ment moral, puis devenu le premier meurtrier de l'histoire biblique. Dans l'ensemble Gn 1-11, le récit de Caïn et Abel suit Gn 3 : Eve, qui a été désignée par Adam du nom de « mère des vivants » (3,20) transmet la vie pour la première fois (4,1). Les mêmes motifs et les mêmes thèmes se répondent : la mort, promise dans le premier récit (« de mort tu mourras », 2,17) devient pour la première fois réalité avec le meurtre du frère Abel.
Les séquences de Gn 4 : bienveillance de Dieu (4,1), tentation (4,5-7), péché (4,8), intervention et question de Dieu (4,9), puis châtiment (4,10-14), accompagné de la protection finale de Dieu (4,15-16) étaient déjà présentes dans le premier récit (Gn 2-3). La relation per­turbée « homme / femme » du premier texte trouve un écho dans la
rupture violente de la fraternité qui conduit Caïn à agresser son frère. L'expulsion d'Adam et Eve hors du jardin se prolonge par l'éloigne-ment de Caïn : « Et Caïn sortit de ta présence du seigneur » (4,16). Par rapport au récit d'Adam et Eve, une progression apparaît ; d'abord dans la situation géographique - hors du jardin ; ensuite dans l'accent mis sur les risques dans la vie en société.
La légende de la rivalité entre deux frères est bien connue dans le Proche-Orient ancien, comme dans d'autres civilisations : rivalité psychologique entre deux frères, mais aussi opposition entre la vie du pasteur et celle de l'agriculteur, enfin hostilité entre nomades et séden­taires. Notre récit pourrait avoir des attaches plus précises avec l'his­toire d'Israël et en particulier la situation des Qénites, les descendants de Caïn. Cette population, vivant au sud de la tribu de }uda, a intrigué les Israélites à cause de son mode de vie nomade, de sa violence et de ses tatouages. L'enracinement de ce récit dans l'Ancien Orient et dans l'histoire d'Israël est éclairant. Mais désormais, placé comme il l'est dans le cycle des textes fondateurs, ce récit s'inscrit dans la série des généalogies. Il représente le moment décisif et risqué de l'entrée de l'homme dans la vie en société. Nous allons d'abord souligner quelques pistes de lecture, avant de regarder les prolongements de ce texte dans les traditions juive et chrétienne, ainsi que dans la moder­nité.
Lecture du texte
L'introduction (v.1-2)
Ces deux versets introduisent les trois personnages du récit : le Sei­gneur, Caïn et son frère Abet. La parole d'Eve au v.l a beaucoup embarrassé les interprètes. Le texte hébreu, qui s'appuie sur un jeu de mots entre le verbe qanah (('ai acquis) et le nom Caïn (Qaïn) fait appa­raître une relation de proximité et de dépendance de Caïn envers Dieu. Le récit est d'ailleurs écrit de son point de vue. Au contraire, Abel est introduit en des termes plus neutres : « Elle donna aussi le jour à Abel, frère de Caïn » (v.2). Présenté simplement comme « frère de Caïn », Abel n'a pas droit à la même relation que Caïn envers Dieu. L'étymoto-gie de son nom confirme son relatif effacement dans le récit puisque Abel (hebel) en hébreu signifie « buée, haleine, vanité », et que l'homo­nyme ébel désigne le deuil, les funérailles.
L'épreuve (v.3-7)
Les deux offrandes des frères sont caractéristiques de l'activité de cha­cun : Caïn, le cultivateur, offre des produits de la terre tandis qu'Abel,
2 S 12,10, c'est par l'intermédiaire de Natân que Dieu manifeste la nécessité du châtiment ; en 1 R 21,19, c'est par le prophète Élie que Dieu crie justice. Ici dans le récit fondateur. Dieu lui-même se fait le « vengeur », car il est le protecteur et le gardien de toute vie.
Par rapport au récit du jardin d'Éden, il y a aggravation de la peine, puisque Caïn est « maudit » comme le serpent et la terre (3,14.17) : il est donc banni de la terre nourricière dont il tire sa subsistance. Cela équivaut pour lui à une condamnation à mort. Du coup Caïn perd en même temps l'espace privilégié où il vivait en présence de Dieu et la relation particulière qu'il avait avec lui. De fils privilégié et proche, il est devenu errant et éloigné. Il est banni « de sur la face du sol ». Il est désormais éloigné « de la face du Seigneur ». Ce double éloignement souligne sa fragilisation.
La plainte de Caïn (a ma peine est trop lourde à porter ») est moins l'expression d'un remords tardif, que la peur devant l'ampleur de son châtiment. Caïn l'assassin sait maintenant que lui aussi peut être tué ;
il demande la protection du Dieu qui vient de le sanctionner. C'est ce qu'il obtient sous une double forme : d'abord une parole prenant sa défense, puis un signe mystérieux, peut-être une sorte de tatouage. On a pensé à une marque ambivalente qui, à la fois, interdit d'agresser Caïn, et perpétue en quelque sorte la malédiction. La peine n'est pas supprimée : Caïn est expulsé loin de la terre et du Seigneur. Par contre la sentence de mort, implicite dans l'éloignement de la terre nourri­cière, est remise en question par la parole protectrice de Dieu. La vio­lence inaugurée par Caïn est contrôlée et limitée par une parole qui préfigure la Loi. Celle-ci est en effet, pour Israël, un des moyens de contenir la violence sans limite qui menace l'humanité si elle suit le chemin ouvert par Caïn.
Quelques relectures
II faut attendre le livre de la Sagesse, relisant l'histoire d'Israël depuis Adam jusqu'à Moïse, pour trouver un rappel de Caïn : « Quand, dans sa colère, un injuste se fut écarté de (la Sagesse), il périt par ses fureurs fratricides » (Sg 10,3). Le lecteur reconnaît ici, bien qu'il ne soit pas nommé, Caïn sanctionné par une condamnation sans appel, pour s'être écarté de Dieu.
Les traditions juives ont beaucoup commenté ce texte en cherchant à l'éclairer. Ainsi le Targoum* échappe à la difficulté du v.l2 en faisant des additions (en italiques) : « Adam connut Eve, sa femme, qui était enceinte de Sammael, Fange du seigneur. Elle enfanta ensuite d'Adam son mari, Abel et sa (sœur) jumelle. » Cette proximité entre Caïn et
Dieu, significative dans la dynamique du récit, a gêné les commenta­teurs juifs. Ils ont donc ici remplacé le Seigneur par l'ange Sammaël :
l'ange de péché qui a fait chuter Eve. Dès lors la malice de Caïn s'explique par ses origines. De même le rejet du sacrifice de Caïn est souvent rattaché à un manque de respect de Caïn envers son Dieu. Un commentaire juif, un midrash*, éclaire ainsi le v.3 : « (Caïn) apportait des restes, comme un mauvais serviteur qui mange les premiers fruits lui-même, puis honore le roi avec les fruits tardifs qui sont flétris. »
Dans le Nouveau Testament, quelques références apparaissent. L'évangile de Matthieu évoque les martyrs passés et futurs «... pour que retombe sur vous tout le sang innocent sur ta terre, depuis le sang d'Abel le juste jusqu'au sang de Zacharie » (Mt 23,35). Les deux passages de la lettre aux Hébreux qui citent Gn 4 sont plus explicites. Le premier souligne, comme les lectures juives, la valeur supérieure du sacrifice d'Abel : « par la foi Abel offrit un sacrifice de plus grande valeur que celui de Caïn ; aussi fut-il proclamé juste, Dieu ayant rendu témoignage à ses dons, et par elle aussi, bien que mort, il parle encore » (He 11,4). Le second texte (He 12,22-24) fait d'Abel la figure du Christ, sa mort étant lue dans une perspective sacrificielle. Citons encore la Première lettre de Jean : « Nous devons nous aimer les uns les autres, loin d'imiter Caïn, qui, étant du Mauvais, égorgea son frère. Et pourquoi F égorgea-t-il ? Parce que ses œuvres étaient mauvaises, tandis que celles de son frère étaient justes » (1 Jn 3,11-12). Comme dans les lectures juives du temps, Caïn est soumis au Mauvais dès sa naissance.
Beaucoup d'écrivains modernes ont été attirés par ce couple des deux frères et surtout par la figure de Caïn, déjà centrale dans le récit biblique. Chez Byron, Hugo (La Fin de Satan), Milton ou Baudelaire, la figure de Caïn, le révolté, va progressivement être grossie, enflée, au point d'éclipser celle d'Abel. Ces œuvres vont animer et grandir la fugitive et énigmatique figure de Caïn, au point d'en faire, à la place d'Adam, le véritable homme des débuts de l'histoire.



5. D’ADAM A NOE

Des arbres généalogiques semblables à celui-ci sont fréquents dans la Bible pour attester la continuité d’une descendance. Les noms sont sélectionnés en fonction d’un schéma (Lire : Matthieu 1). Nous ne pouvons donc pas calculer une période dans tout son ensemble en additionnant simplement tous les chiffres donnés.

La durée de vie de ces hommes est remarquable. Elle va de 777 ans pour Lamech à 969 ans pour Mathusalem (sauf Enoch que Dieu "prit" à 365 ans). Bien des races accordent à leurs lointains ancêtres une vie exceptionnellement longue. Mais on n’a trouvé aucune explication qui donne satisfaction. Chaque énoncé (il y en a 10) suit le même schéma: "A vécut x ans et engendra B. Après avoir engendré B, il vécut y ans et engendra des fils et des filles. A vécut en tout z ans, et mourut". La note sombre que jette la dernière phrase:"et mourut" ne disparut que dans le cas d’Enoch, l’homme qui "suivit les voies de Dieu". Dieu avait d’autres plans sur lui. Noé, le dernier des dix, à son tour, "suivit les voies de Dieu"  (6,9) . Dieu intervint aussi pour le sauver de la mort.

6-9. LE GRAND DELUGE

6-9,17. Le salut et la promesse de Dieu à Noé

Des histoires de déluge nous ont été transmises en bien des langues dans la plupart des pays du monde. Les récits babyloniens (sumériens et surtout akkadiens) ressemblent beaucoup à l’histoire biblique. Ce n’est pas surprenant s’ils reflètent le souvenir d’un événement réel qui s’est passé dans la même région. II n’est pas nécessaire de supposer que l’auteur de la Genèse ait puisé ses renseignements dans les histoires babyloniennes. Les différences sont trop grandes et rendent cette hypothèse peu vraisemblable.

Etendue et date du déluge:

Si nous prenons les termes employés dans Lire : Genèse 7,19 sq. au pied de la lettre, le déluge fut universel. Mais les auteurs bibliques se servent d’expressions semblables dans des contextes où, de toute évidence, ils ne parlent pas du monde entier (Lire : Ge 41.56-57 ; Actes 2.5). II reste que le déluge a pu couvrir une vaste zone, le "monde entier" de l’histoire primitive de l’homme, exposée dans Genèse 2 sq. Son universalité, entraînant la disparition de toute vie humaine, dépend de l’époque où il s’est réellement produit mais nous ne pouvons qu’en conjecturer la date. La liste des nations descendant des fils de Noé (Lire : Ge 10) montre avec évidence que le déluge s’est produit vraiment aux origines, bien avant les diverses inondations de la Mésopotamie méridionale dont on a trouvé des traces au cours des fouilles.

L’arche :

le mot hébreu signifie "boîte”ou "coffre". II n’est utilisé ailleurs que pour la "corbeille" étanche dans laquelle le petit Moïse flottait sur le Nil-parallèle intéressant. L’arche est vaste, destinée à flotter, non à naviguer ; et il n’y a pas eu de problèmes de lancement ! Une coudée ayant 45,5 cm, l’arche mesurait 137 m x 23 m x 14 m.

L’alliance  (6-18) :

thème important et qui se répète dans l’Ecriture. Dieu fait alliance successivement avec Noé, avec Abraham, avec la nation d’Israël (par Moïse) et avec David. Chaque alliance devient de plus en plus riche de promesses jusqu’à ce que la venue du Christ introduise à la "nouvelle alliance". Dans chaque cas, Dieu prend l’initiative ; ce n’est pas un accord entre partis égaux. Dieu en établit les termes. II les fait connaître. Lui seul en garantit l’observation. Les hommes jouissent des bénédictions de l’alliance dans la mesure où ils obéissent aux commandements de Dieu. Voir "Alliances et Traités au Proche-Orient"

Lire : Ge 9.18-29 Ivresse de Noé

Même un tout nouveau début ne change pas l’homme ; cette petite histoire honteuse le montre clairement. Cham déshonore un père ivre, et Noé le maudit au travers de son fils Canaan, (ses autres fils ne sont pas nommés dans la malédiction). Les Cananéens ont en effet été assujettis aux descendants de Sem, les Israélites.

10-11. DE NOE A L’APPEL D’ABRA (HA) M

10. Les familles des trois fils de Noé

La généalogie est disposée selon le schéma suivant:
en-tête  (1)
descendants de Japhet (2-4)
détail supplémentaire sur Yavân (5a)
récapitulatif (5b)
-descendants de Cham (6-7 ; 13-18a)
détails supplémentaires sur Nemrod (8-12)
et Canaan (18b-19)
récapitulatif (20)
-descendants de Sem (22-29a)
détail supplémentaire sur Sem (21)
et Yoqtân (29b-30)
récapitulatif (31)
récapitulatif de toute la liste (32)
La famille de Sem vient la dernière, car ce sont autour des nations
issues d’elle que s’ordonne la suite du récit. (voir image 1000169)


Lire : Ge 11.1-9 Babel

En Shinéar, royaume de Nemrod le chasseur (10,10), les hommes se rassemblent autour d’un grand projet de construction:une cité et une tour dont le sommet atteindrait le ciel. Dieu regarde cette tentative commune des hommes essayant de se faire semblable à lui ; il y voit le début de la pire rébellion contre lui. II divise donc les hommes par la barrière des langues et les disperse:ce contre quoi justement ils cherchaient à s’assurer. Et la grande tour reste inachevée. La tour de Babel ressemblait sans doute à un temple-tour de plusieurs étages (ziggourat), comme ceux qui se sont élevés en Babylonie au début du 3e millénaire av. J.-C.

Lire : Ge 11.10-32. De Sem à Abraham

Ici encore la liste des noms est sélective ; elle abrège probablement la longueur du temps écoulé. Les ancêtres de Noé vécurent bien plus longtemps que ceux de Tèrah, et l’âge de la paternité a considérablement diminué. Lorsque le nom de Tèrah apparaît, la liste devient plus détaillée. C’est la famille à laquelle nous devons nous intéresser. Les trois fils de Tèrah sont nommés, et leur ville d’origine est indiquée: Ur des Chaldéens. Après la mort de Harân, Tèrah en sortit pour aller en Canaan, avec son petit-fils Lot, son fils Abram et sa bru stérile Saraï. En route, cependant, ils s’établirent à Harân. Tèrah mourut et commence alors l’histoire d’Abraham (le nouveau nom rappelle la promesse de Dieu de faire de cet homme le père d’une multitude de nations:17,5).







Les traditions patriarcales (11.27–36.43)

    Après la dispersion des peuples sur la terre (10), liée à l'effondrement de Babylone (11), le récit campe le portrait de plusieurs figures essentielles pour la mémoire d'Israël, figures qu'on appelle communément les patriarches. C'est à ces grands ancêtres qu'on doit la conscience nationale et la fierté de posséder un pays. Mais là encore, il ne s'agit pas d'une simple aventure humaine. La geste d'Abraham et d'Isaac, celle de Jacob, et même l'histoire de Joseph, sont là pour instruire le peuple de Dieu, pour le convaincre qu'il appartient toujours, des siècles plus tard, à un grand destin. Ainsi la saga des grands ancêtres visite tous les lieux qu'on se disputera, avec des enjeux religieux, au cours de l'histoire tourmentée du pays.

    Des éléments de géographie politique peuvent ainsi être aisément repérés tout au long des généalogies et autres récits de mariages ou notices familiales dont le texte est parsemé. Ces repères familiaux exercent le même attrait que les recherches généalogiques d'aujourd'hui et remplissent des fonctions analogues. Par eux on peut savoir d'où l'on vient, expliquer telle relation de voisinage ou tel degré de parenté, et valider la transmission du patrimoine. Un regard porté sur la répartition des territoires entre les tribus issues de Jacob est éclairant sur ce point. Car non seulement on y verra fonctionner le système des droits d'aînesse, respectés ou renversés, mais telles faveurs et telles préséances bien expliquées dans le texte de la Genèse réapparaissent d'une manière assez parlante sur la carte.

    En effet, la géographie politique elle-même traduit le cheminement de la bénédiction (cf. Gn 30.24; 35.16-19; 48.5-49.27). Et que dire du chapitre 49, le discours de Jacob mourant à ses douze fils, véritable testament prophétique où s'étalent, dans un langage à peine crypté, les informations nécessaires à l'intelligence du destin historique, parfois mouvementé, des tribus d'Israël ?

    Quatre grandes figures dominent donc la geste patriarcale : Abraham, Isaac et Jacob, et finalement Joseph, le onzième fils de Jacob. La répartition de leurs histoires dans le livre de la Genèse ne s'opère pas de manière absolument méthodique et tranchée. Il est manifeste qu'au moment de la rédaction on s'est trouvé en présence d'une surabondance de récits attachés aux souvenirs des grands ancêtres. Le tableau ci-dessous contribuera à clarifier les choses.

Abraham

    Le « chevalier de la foi », comme l'a dénommé Kierkegaard, porte deux noms dans la Bible. Primitivement appelé Abram (« Le père [est] élevé »), il sera ensuite désigné, à partir de la conclusion de l'alliance au chapitre 17, sous le nom développé d' Abraham (interprété comme « Père d'une multitude »). Abram, originaire de la ville d'Our, près de Babylone, fait une apparition soudaine dans l'histoire biblique : il prend la décision de tout quitter pour se rendre à l'appel de Dieu. Dès cette page du chapitre 12, le patriarche représente le croyant, capable de décision fondamentale, sous la seule impulsion de la foi et sans aucune garantie humaine.

    Le voici donc en Canaan (cf. Gn 9.18n). Du nord au sud, Abram parcourt la chaîne montagneuse de Cisjordanie, en s'établissant tout d'abord à Sichem (l'actuelle Naplouse), puis à Beth-El, Hébron et Bersabée (ou Béer-Shéba). Au gré de ses pérégrinations, son portrait se diversifie cependant : on aurait peine à reconnaître le modèle romantique du croyant absolu dans l'homme qui fait passer sa femme pour sa soeur par crainte des Egyptiens ou des Philistins (Gn 12.10ss; 20.1ss), qui négocie pied à pied le sort de Sodome (Gn 18.16ss) ou qui s'empêtre dans la rivalité de deux femmes, sans adopter une position claire (chap. 16; 21). Le grand seigneur du désert à l'hospitalité légendaire (chap. 18), généreux et pacifique dans la résolution d'un conflit avec Loth (chap. 13), va même se transformer, inopinément, en chef de guerre victorieux dans une bataille gigantesque (chap. 14).

    Rien d'étonnant, dès lors, que jusqu'à nos jours la paternité d'Abraham soit invoquée de multiples façons. Quoi qu'il en soit, la grande épreuve de sa vie, celle qui lui vaudra à coup sûr son titre de père des croyants, va se nouer autour de sa progéniture. Alors qu'Abraham et Sara n'ont pas eu d'enfant et qu'ils approchent de leur fin, Dieu leur promet en effet une descendance. Et quand l'enfant du miracle, Isaac, sera enfin là, Dieu va précipiter Abraham dans une épreuve apparemment absurde en lui demandant de le sacrifier. Le chapitre 22 de la Genèse est un des sommets de la littérature en raison de l'enjeu (la bénédiction est réduite à néant si l'unique héritier de la promesse vient à disparaître) et de l'horreur de l'exigence divine (un sacrifice humain). Abraham sortira vainqueur de cette épreuve, et Isaac aura été épargné. Bien plus, parce qu'Abraham a, dans cette situation extrême, obéi quand même à l'injonction de la foi, l'avenir de sa descendance sera connu e t envié de tous; toutes les nations de la terre se béniront par sa descendance (Gn 22.18; cf. Gn 12.3).

Isaac

    Du mystérieux mont Moriya (Gn 22.2) où s'est déroulé ce drame, on revient alors à Bersabée qui est le point d'ancrage d'Isaac, le patriarche méconnu. Il est vrai que, coincée entre les statures colossales de son père Abraham et de son fils Jacob-Israël, sa vie manque un peu de relief. On notera cependant que la tradition de la Synagogue s'est emparée d'Isaac pour en faire le héros principal de Genèse 22, avec le thème très porteur de l' aqéda, la « ligature », que le jeune garçon semble accepter sans broncher au moment où son père l'installe sur le bûcher (v. 9n). Le christianisme des premiers siècles n'a pas hésité à y voir la figure du Fils unique offert par l'amour du Père et consentant à son propre sacrifice.

Jacob

    C'est sans doute à Jacob que se rapporte le passage de Deutéronome Dt 26.5-9, qui est souvent considéré comme un très ancien credo d'Israël. Nous avons là l'institution d'un usage liturgique encore vivant aujourd'hui dans la célébration juive de la Pâque. Cette instruction en forme de rappel conduit le croyant à affirmer que son père (Jacob, selon toute vraisemblance) était un Araméen nomade; il est descendu en Egypte avec peu de gens... Puis, entrant toujours davantage dans le jeu de cette nostalgie théologique, le croyant affirmera : Les Egyptiens nous ont maltraités, humiliés et soumis à un dur esclavage. Par la foi, le destinataire de la Bible s'associe donc à la famille de Jacob. C'est de cette manière qu'il s'intègre, lui aussi, dans les alliances et les promesses dont Jacob a été le dépositaire.

    Le personnage est insolite : tour à tour calculateur ou dévot, il n'hésite pas à recourir à la ruse pour s'adjuger les bénédictions de la foi. Témoin les cris déchirants d'Esaü après le vol de la bénédiction et la fuite éperdue vers l'oncle Laban, commencement d'un véritable voyage initiatique – qui est aussi celui du croyant. Deux grands moments théologiques marquent cette épopée. C'est d'abord (chap. 28) la nuit où le patriarche, voyant en rêve une sorte d'escalier qui relie la terre au ciel, comprend que le lieu où il se trouve est sacré. A cet endroit, il reçoit une promesse formelle : il héritera, pour lui et pour sa descendance, la terre où il est couché. Beth-El (« Maison d'El » ou « Maison de Dieu », cf. Gn 28.19n), lieu de cette révélation, deviendra un sanctuaire national. Lorsqu'il revient de Transjordanie, deux fois marié et père de onze enfants, riche de biens et d'expérience, c'est la nuit prodigieuse du Yabboq (chap. 32). Là, durant des heures, il est aux prises avec un adversaire divin qu'il ne laissera pas partir avant l'approche de l'aube. Celui-ci lui décerne alors son deuxième nom : Israël, peut-être à interpréter au sens de « vainqueur de Dieu ». L'événement légitime un autre sanctuaire, celui de Penouel1, où l'on rencontre Dieu face à face.

1 Sur l'identification probable de Penouel avec le sanctuaire de Deir `Allah découvert par les fouilles archéologiques en 1967, voir « Balaam ».

Joseph :

Joseph en Egypte, ou le supplément à la Genèse

    Que le SEIGNEUR m'ajoute (hébreu yoseph) un autre fils ! (Gn 30.24). Voilà l'exclamation de Rachel à la naissance de Joseph (Yoseph). La longue et belle histoire de ce personnage invite le lecteur à réfléchir sur la signification du séjour d'Israël en Egypte, loin de sa terre. Toutes les angoisses qui la tiennent en suspens se résolvent dans un dénouement providentiel qui doit servir de leçon pour d'autres temps et d'autres circonstances : Le mal que vous comptiez me faire, Dieu comptait en faire du bien (Gn 50.20). Premier-né de Rachel, l'épouse chérie de Jacob, et fils préféré de son père, Joseph étonne et irrite ses demi-frères par ses rêves. Il fait preuve à leurs yeux d'une arrogance insupportable. Les frères, jaloux, cherchent un jour à le faire disparaître. Il est récupéré par des Bédouins qui iront le vendre, en Egypte au chef des gardes du pharaon. Ses frères n'en savent rien. Conduit par la providence et la sagesse divines (Gn 39.3; 41.37), Joseph ne tardera pas à être promu vice-roi d'Egypte (Gn 41.41).

    A ce moment la famine s'abat sur Canaan. Elle conduit dix fils de Jacob à se rendre en Egypte pour y acheter du grain. Après bien des péripéties, Benjamin l'unique frère de sang de Joseph, les accompagne en Egypte. Mais Joseph ne se laissera reconnaître par ses frères que lorsque ceux-ci auront pris pleinement conscience de leur forfait. Le clan séjournera en Egypte assez longtemps. Quelque quatre cents ans, diront les textes (Gn 15.13; Ex 12.40s; Ga 3.17). Mais on ne sait pas bien où les faire débuter, car aucune indication chronologique n'est fournie par l'histoire biblique de Joseph. Et l'on ne dispose d'aucune source égyptienne sur ce point. Cet ensemble, qui s'apparente à la littérature de sagesse (voir « Sagesse »), traite à sa manière le dossier des relations entre Israël et les autres nations en particulier en situation d'exil ou de diaspora (voir « Exil » et « Diaspora »). Le séjour involontaire de Joseph en Egypte aura finalement eu des conséquences heureuses (Gn 50.20). Et pas seulement pour sa propre famille : le pays d'accueil aura aussi tiré avantage de la sage politique menée par l'inspiré de Dieu. Certaines pages de Jérémie (Gn 29.4ss) ou de Daniel (chap. 1–6) suggèrent une orientation analogue.

    Nous avons là, esquissée, la grande idée du règne de Dieu sur toute l'humanité, avec ses attentes de justice et de paix. Ainsi le livre de la Genèse constitue une longue méditation sur la vocation particulière d'un peuple élu au sein duquel, paradoxalement, tout lecteur est invité à se situer. Quand tous les âges d'or seraient définitivement derrière nous, ces textes sont un contrat d'espérance qui incite à prendre en considération l'exemple, même imparfait, de la foi des premiers pères.






[1] : Article de Anne-Marie PELLETIER, professeure à l’ICP, in « La Bible et sa Culture », tome 1 : l’Ancien Testament, DDB, Paris, 2000 ; Pp. 35 à 39.
[2] : Point « REPERE » dans « La Bible et sa Culture », Tome 1, Op. Cit.
[3] Point « REPERE » dans « La Bible et sa Culture », Tome 1, Op. Cit.
[4] : d’après Etienne CHARPENTIER, in « Pour Lire l’Ancien Testament », Cerf, Paris, 1980 ; P.27
[5] : Israël FINKELSTEIN et Neil Asher SILBERMAN : « La Bible Dévoilée », les Nouvelles Révélations de l’Archéologie, Bayard, Paris, 2002 ; traduction française de « The Bible Unearthed », The Free Press, division of Simon and Schuster, Inc. New York, USA, 2001.
[6] : question qui appelle la réponse traditionnelle : « Il préparait l’enfer pour ceux qui posent de telles questions » !
[7] Point « REPERE » dans « La Bible et sa Culture », Tome 1, Op. Cit
[8] : Commentaire du Grand Rabbin David SABBAH. Né à Marrakech (Maroc). Le Rabbin David Sabbah s'installe à Montréal en Octobre 1978 pour occuper le poste de Grand Rabbin Séfarade du Québec. Il dirige, à Rabat, le réseau scolaire des Écoles Ozar ha-Tora. Il assume parallèlement la Direction de l'Institut des Hautes Études Hébraïques. Secrétaire général du Comité de la Communauté Israélite de Rabat, il est appelé à présider la Commission responsable de la Kacheroute. Il siège en tant qu'officier au Conseil des Communautés Israélites du Maroc. Doctorat en Pensée juive à l'Université de Strasbourg. Licencié ès Lettres, il détient un Diplôme en Littérature Comparée. Il fait ses études secondaires à l'École Normale de Casablanca et à l'École Normale Israélite Orientale de Paris. Il constitue la Commission de la Kacheroute séfarade sous l'estampille «KSR». Fondateur du Kolel Torat Haïm, de la Yéchiva Or Tora et de l'Institut supérieur de théologie juive à Montréal, professeur associé à la Faculté de théologie de l'Université Laval.

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