Malte préhistorique:
Hypothèses.
Yaqov Demarque.
(D'après un article de Jean Courtin, paru en 1994 dans la Revue du Monde Musulman et de la Méditerranée, Volume 71; pages 17 à 38, ayant pour titre "Malte préhistorique, une île de Pâques méditerranéenne ?")
Photos (c) Yaqov & Joséphine Busuttil - Demarque.
Figurines humaines à usage chamanique.
Trouvées dans la "cache du Chamane" à Ggantija.
photo (c) J & Y. Busuttil-Demarque.
(Les textes en caractères italiques gras sont des ajouts ou des remarques de Y. Demarque.)
Bien que distant seulement d'une centaine de kilomètres du sud de la Sicile, l'archipel Maltais n'a été peuplé par l'homme que très tardivement.
Les plus anciennes traces, indubitables, de présence humaine sur Malte et Gozo ne remontent pas en effet, tout au moins en l'état actuel des connaissances, au- delà du début du Néolithique, daté ici, comme d'ailleurs dans l'ensemble de la Méditerranée occidentale, du 5e millénaire.
Les îles Maltaises sont formées de roches d'âge tertiaire (essentiellement de l'Oligocène et du Miocène), stratifiées régulièrement, les seuls accidents étant quelques lignes de failles orientées sud-ouest nord-est. Avec un humour très britannique, on a comparé Malte à "a huge club-sandwich", constitué de deux niveaux - inférieur et supérieur - de calcaires durs coralligènes, séparés par des calcaires tendres à globigérines, à grain très fin - la pierre à bâtir de Malte, aisée à scier, tailler et sculpter — et par des passées d'argiles et de sables marneux. A l'exception de chailles grises de qualité médiocre, les hommes préhistoriques ne disposaient d'aucune roche dure apte à la production d'un outillage efficace, aussi les hommes du Néolithique maltais ont-ils importé du silex et des roches vertes à grain fin de la Sicile et de la Calabre, de l'obsidienne de Pan- telleria et des îles Eoliennes.
Qu'il s'agisse d'un troc ou déjà d'un véritable commerce organisé, le trafic de ces matières premières atteste l'importance et l'ancienneté de la navigation en Méditerranée occidentale, déjà établie par le peuplement ancien de la Sardaigne et de la Corse. Paradoxe surprenant, c'est sur leurs îles dépourvues de roches dures que les hommes du Néolithique maltais ont inventé et développé une surprenante architecture monumentale, ces temples mégalithiques qui n'existent nulle part ailleurs et qui ont bravé les millénaires.
Eléphants nains et cygnes géants
S'il n'est pas prouvé, pour l'instant du moins, que l'homme du Paléolithique, pourtant présent en Sicile, ait atteint Malte, on y a découvert dès le début du siècle des faunes quaternaires du Pleistocene inférieur. Dans la partie orientale de Malte, la vaste caverne de Ghar Dalam a fourni quantité de restes osseux d'hippopotames {Hippopotamus pentlandt) et d'éléphants nains, connus par ailleurs en Sicile, en Sardaigne, en Crète, à Chypre. Les éléphants fossiles de Malte appartiennent à trois espèces, Elephas mnaidrensis, E.melitensis et E.fal- coneri. Ces éléphants ne dépassaient guère 1 ,20 m au garrot, et les plus petits avaient la taille d'un chien saint-Bernard.
Ils côtoyaient par contre des cygnes de très grande taille qui, avec les hippopotames, fréquentaient les marécages alors présents sur ces îles aujourd'hui quasi arides. Dans la même grotte, un niveau supérieur contenait des ossements de cervidés, attribuables à la dernière phase de la glaciation de Wûrm, ilyal0àl2 000 ans. Aucun vestige d'occupation humaine n'a jusqu'ici été découvert, ni à Ghar Dalam, ni dans les autres cavités de l'Archipel. Pourtant, les chasseurs du Paléolithique supérieur, les Cro-Magnon méditerranéens, ont laissé de nombreux témoignages dans plusieurs grottes de Sicile, notamment dans les régions de Palerme et de Syracuse.
Des sites comme la Grotta Corruggi, San Teodoro, Fontana Nuova, Cala dei Genovesi, sont connus de tous les spécialistes. San Teodoro a même fourni cinq sépultures du Paléolithique supérieur. Tout aussi célèbres sont les grottes ornées siciliennes, telle Cala dei Genovesi, sur l'île de Levanzo (îles Egades), où ont été découvertes des gravures de cervidés, aurochs, équidés et humains, ou encore la grotte de l'Addaura, près de Palerme, avec ses énig- matiques gravures de silhouettes humaines dansant, associées à des gravures de bovidés, équidés, cervidés.
Or, il n'est nullement improbable que ces chasseurs siciliens du Paléolithique aient poussé des incursions jusqu'à Malte, qu'ils pouvaient atteindre en trois jours de marche en suivant l'isthme du cap Passero, au sud-est de la grande île. En effet, entre le cap Passero et Malte, les profondeurs sont inférieures à 100 m. Un "pont", un isthme émergé, a donc pu relier les deux terres lors de la dernière glaciation, lorsque le niveau de la mer se trouvait à 120 m sous le zéro actuel. Que l'on découvre un jour dans une grotte maltaise, sur terre ou sous la mer, des traces de campements du Paléolithique supérieur n'a donc rien d'impossible.
L'ancienneté de la navigation en Méditerranée occidentale, déjà établie par le peuplement ancien de la Sardaigne et de la Corse. Paradoxe surprenant, c'est sur leurs îles dépourvues de roches dures que les hommes du Néolithique maltais ont inventé et développé une surprenante architecture monumentale, ces temples mégalithiques qui n'existent nulle part ailleurs et qui ont bravé les millénaires.
II y a 7 000 ans, les premiers colons
Quoiqu'il en soit, les premiers habitants connus dans l'Archipel débarquèrent de leurs canots au début du 5e millénaire. Venus de Sicile, comme le prouvent leurs poteries aux motifs caractéristiques du Néolithique ancien sicilien (groupe de Stentinello : incisions en arête de poisson, sillons, impressions diverses, souvent incrustées de matière blanche destinée à rehausser le décor), ces marins étaient avant tout des fermiers. Ils apportaient avec eux des plantes cultivées : l'orge, deux sortes de blé — engrain et blé amidonnier — des lentilles, des pois. Gardé par des chiens, leur bétail comprenait des brebis, des chèvres, des porcs, mais aussi des bovins, ce qui laisse supposer que leurs embarcations n'étaient pas de simples pirogues mais de véritables bateaux capables de transporter hommes et animaux sur des distances relativement longues et surtout d'affronter les flots, pas toujours sereins, de la Méditerranée. La céramique de ces premiers immigrants a été découverte en plusieurs points de l'Archipel, outre la célèbre grotte de Ghar Dalam, à Ta Hagrat à Mgarr, à Santa Verna et Xewkija sur Gozo. Mais ce sont essentiellement les fouilles méthodiques de David Trump à Skorba qui ont permis de connaître l'économie, le mode de vie et la culture matérielle des premiers Maltais, en même temps qu'elles ont servi de base à la première chronologie absolue des divers styles céramiques qui caractérisent ce Néolithique tout au long de son évolution : phases de Ghar Dalam, de Grey Skorba, de Red Skorba, de Zebbug, de Mgarr, de Ggantija etc.
Ci dessus et photos suivantes :
Quelques vues de l'intérieur
de la grotte de Ghar Dalam.
Photos (c) J & Y. Busuttil-Demarque.
A Skorba, sous les ruines d'un temple double, des emplacements de cabanes ont été retrouvés. C'était, pour les plus anciennes, des huttes à plan ovale, longues de 7 à 10 m, larges de 2,50 m à 3 m, pour d'autres, plus récentes, des huttes à plan sub-rectangulaire, aux angles arrondis.
Ci-dessus et photos suivantes :
figurines anthropomorphes de pierre et d'argile.
Site mégalithique de Ggantija.
Photos (c) J.& Y. Busuttil-Demarque.
Racloir en silex. Site mégalithique de Ggantija. Photo (c) J.& Y Busuttil-Demarque. |
Poinçon en os. Site mégalithique de Ggantija. Photo (c) J.& Y Busuttil-Demarque. |
A l'économie agricole de ces pionniers s'ajoutaient les ressources de la pêche et de la chasse. Malte portait alors une couverture arborée qu'a bien du mal à imaginer le voyageur qui parcourt aujourd'hui ces plateaux rocailleux et ces vallons désolés où ne poussent plus que le câprier épineux, le lentisque et le caroubier. Les forêts néolithiques abritaient cerfs et sangliers, dont les restes ont été retrouvés lors des fouilles ; outre les maillets de pierre, des pics en bois de cerf ont été utilisés pour creuser les hypogées, dont celui de Saflieni.
C'est l'exploitation intensive de ces forêts à l'équilibre fragile, et en particulier la quantité énorme de bois qu'exigeaient la construction et l'entretien des temples, qui a contribué, sans doute très tôt, dès le Néolithique moyen-récent, à la deforestation des îles. Dès l'âge du bronze, les sols devaient être largement dégarnis, surtout sur les reliefs.
Comme il a été dit plus haut, les archéologues ont distingué plusieurs phases évolutives dans le néolithique maltais, essentiellement d'après la céramique trouvée dans les fouilles, celles de Skorba ou d'autres sites. Ainsi, après le Néolithique ancien caractérisé par le style de Ghar Dalam, qui se rattache à celui de Stentinello en Sicile, on a individualisé un Néolithique moyen, comprenant la phase dite "Grey Skorba", datée de 4500-4100 avant notre ère, avec des vases peu ou pas décorés, de formes simples, parfois munis de pieds creux et de préhensions percées allongées aux extrémités évasées ("anses en trompettes") qui signent des influences du Néolithique du Sud de l'Italie. Les surfaces des vases sont beiges ou grises, d'où le nom donné à ce style, et soigneusement polies. Les relations avec la Sicile et les Eoliennes sont évidentes ; des lames et de gros nuclei d'obsidienne liparote attestent ces contacts étroits. La phase suivante, "Red Skorba" est celle des vases à surface d'un beau rouge brillant, avec des teintes corail, rouge-brun, parfois tirant sur le beige, des assiettes à décor gravé géométrique, qui ne sont pas sans évoquer le Chasséen ancien du Midi de la France et surtout les groupes italiens de Diana et Serra d'Alto. On connaît des vases importés depuis la Sicile ou l'Italie méridionale, et de curieuses louches à queue bifide. C'est dans ces niveaux qu'apparaissent les premières petites statuettes anthropomorphes en terre cuite et calcaire.
Vers 4100 se situe une rupture dans les styles céramiques, modification qui ne peut guère s'expliquer que par l'arrivée de nouveaux immigrants. Provenant souvent de tombes ovales creusées dans le roc, les vases de la "phase de Zebbug" (4100-3800 BC) sont à fond plat et col rentrant, avec des anses en ruban souvent ornées, décorés de motifs traités en cannelures, peints en brun sur un fond crème, de chevrons imbriqués ou d'incisions figurant des silhouettes anthropomorphes stylisées à l'extrême. On a qualifié abusivement cette phase d'"âge du cuivre", terme peu adéquat étant donné que le Néolithique maltais ignorera le métal jusqu'à l'incursion des guerriers de l'âge du bronze, au 2e millénaire. Il est vrai que des affinités sont décelables avec les civilisations de l'âge du cuivre de Sicile, mais il est important de souligner le refus par les Néolithiques maltais d'adopter l'usage du cuivre pour lui préférer l'obsidienne de Lipari et le silex de Monte Hyblaea.
C'est aux phases suivantes, celle de Mgarr (3800-3600) et surtout celle de Ggantija, datée à présent de 3600 à 3000 BC, qu'apparaissent les premières architectures cyclopéennes, les plus anciens temples mégalithiques à plan tréflé, tels ceux de Ta Hagrat à Mgarr, de Kordin, de Skorba, ou les premiers temples de Ggantija à Gozo. La céramique est ornée de cannelures en arceaux, souvent incrustées de blanc, ou de très curieux motifs curvilignes terminés par des cercles, baptisés "comètes". Les tombes sont des hypogées avec puits d'accès desservant des chambres circulaires, comme par exemple la nécropole de Xemxija près de St-Paul's Bay. Des vases portant près du fond un cordon horizontal perforé sont ornés de motifs géométriques gravés. Très abondante, la parure comprend des coquillages percés (Cypraea), des boutons coniques à perforation en V, en coquille, qui rappellent ceux du complexe campaniforme européen, et de petites haches-pendeloques en roches vertes de Sicile ou de Calabre. Des vases (ou couvercles ?) à fond plat orné et paroi évasée font nettement référence à la culture sarde d'Ozieri.
Ci dessus et photos suivantes :
Quelques vues du Temple
de Ggantija.
Photos : (c) J.& Y. Busuttil-Demarque
Ci dessus : à Ggantijia :
Des graffitis très anciens, mais quine sont évidemment pas d'époque :ls témoignent de la mani qu'ont certains de "marquer leur passage"sur des sites historiques... comme ilstémoignent aussi du fait que certains sites sont connus depuis très longtemps !
Photo (c) J.&Y. Busuttil-Demarque.
Le culte des morts, les hypogées
Avec la courte phase de Saflieni, définie d'après le grand hypogée, les contacts avec la Sardaigne s'affirment. De grands vases à col, munis de très curieuses anses en tunnel "interne" qui évoquent un décor oculé, sont proches de ceux bien connus dans la civilisation d'Ozieri, représentée en Sardaigne dans de très nombreux hypogées à chambres multiples. Les tombes connues dans le Néolithique moyen et récent étaient des puits ou de petites chambres circulaires, creusées dans le roc. Leur évolution va aboutir, vers 3000, à l'hypogée de Saflieni, aux dimensions majestueuses, véritable dédale proche du grand temple de Tarxien, au cœur même de l'agglomération de La Valette.Découvert fortuitement en 1902 lors du creusement d'une citerne, ce monument, aussi grandiose que mystérieux, semble avoir été aménagé à l'origine à partir d'une grotte naturelle. C'est un ensemble étonnant de chambres circulaires creusées dans la roche, véritable labyrinthe étage sur plusieurs niveaux jusqu'à 10 m sous la surface du sol. Les linteaux et les encadrements sculptés qui matérialisent les entrées des chambres reproduisent fidèlement l'architecture des temples aériens. Certaines salles sont badigeonnées à l'ocre ou portent des motifs en volutes également peints en rouge, telle la fameuse "salle de l'oracle" à l'acoustique étonnante, salles que l'on a rapproché d'hypogées aux parois peintes et sculptées en Sardaigne.
Crane de femme, Ggiantija
photo (c) Y & J. Busuttil-Demarque
Copiant l'architecture des temples, les salles ornées étaient certainement des lieux de culte : culte des divinités chtoniennes ? Culte des morts ? Sans doute, car les absides contenaient une énorme quantité d'ossements humains. Malgré l'imprécision des fouilles du début du siècle, on estime ces restes à 6 à 7000 individus, des individus au crâne allongé, de type méditerranéen classique, trapus et de taille moyenne. Ils étaient accompagnés de très nombreuses offrandes, des vases, dont une coupe ornée de taureaux et de chèvres gravés, des amulettes, des statuettes en pierre et en terre cuite, dont la célèbre "Sleeping Lady", personnage féminin aux limites extrêmes de l'obésité, richement vêtue, représentée couchée sur le côté, les yeux fermés. Longue de 12 cm, elle repose sur une sorte de lit ou de banquette. Qui était-elle ? Déesse des morts ? Grande prêtresse ou pythie officiant dans ce sanctuaire souterrain ? Egalement en terre cuite, une autre statuette analogue est elle aussi couchée sur un lit, de même qu'une énigmatique représentation de poisson. A de nombreuses statuettes anthropomorphes en terre cuite ou roche tendre (calcaire local, mais aussi steatite claire importée), s'ajoutent des petits animaux stylisés, oiseaux, bovidés, tortues, sculptés dans diverses roches, parfois des roches vertes, ou des tests de mollusques {Spondylus), et munis de perforations en V suggérant une fixation sur un vêtement, ou une suspension comme amulettes. On peut considérer aussi comme des talismans de toutes petites haches-pendeloques en roches vertes, des perles en steatite et en test, des canines de carnassiers percées, et quantité de pendeloques en test, steatite, calcaire, dont certaines font référence au Néolithique récent du Midi de la France : pendeloques en croissant à perforation médiane, pendeloque bilobée, boutons à perforation en V. Il faut citer encore une quantité de poteries très diversifiées en dimensions, des grands vases jusqu'à des récipients miniatures, copies des grands et donc offrandes votives ; beaucoup de ces céramiques présentent des affinités avec le groupe sarde d'Ozieri et parfois avec la poterie à décor cannelé du Néolithique final languedocien.
Urne décorée.
Site mégalithique de Ggantija.
Photo (c) J.& Y. Busuttil-Demarque.
Le très grand nombre des inhumations, de même que les styles céramiques représentés dans l'hypogée, qui vont du style de Mgarr au début de la période de Tarxien, soit 5 à 6 siècles, indiquent une longue période d'utilisation de cette nécropole-sanctuaire. Mais le sous-sol maltais est loin d'avoir révélé tous ses secrets, puisqu'en 1987 a été découvert sur Gozo un autre complexe souterrain cultuel et funéraire dont l'importance ne le cède en rien à Saflieni, celui de Brochtorff Circle, sur le plateau de Xaghra. Près des grands temples de Ggan tija, une enceinte en partie mégalithique avait été signalée dès 1820, mais le site fut bouleversé et gravement endommagé par des fouilles désordonnées qui s'apparentaient davantage à la chasse au trésor. Des dessins réalisés à l'époque par le peintre Charles Brochtorff constituent heureusement de précieux documents sur l'état du site au XIXe siècle. Redécouvert et fouillé depuis 1987, avec toute la rigueur scientifique moderne, par l'équipe des Pr. Bonnano et Gouder, le "Brochtorff Circle" devait se révéler un site-clé pour la Préhistoire maltaise, bien qu'il pose autant de problèmes qu'il en résout. Le monument comprenait à l'origine un mur à peu près circulaire incluant des pierres levées, entourant une aire d'environ 45 m de diamètre ; au centre un orifice s'avéra être l'accès à un ensemble de cavités funéraires qui se développe jusqu'à 4 m de profondeur. A l'inverse de l'hypogée de Saflieni, véritable dédale de caveaux artificiels creusés de main d'homme, celui de Brochtorff Circle est une série de cavités naturelles reliées par des passages souterrains. Peut-être à la suite de petits séismes, les voûtes, peu épaisses, commencèrent à s'effondrer dès le Néolithique et les Préhistoriques à la phase de Tarxien tentèrent d'y remédier en soutenant les plafonds par des piliers monolithiques. D'après le très abondant mobilier recueilli, poteries, lames de silex et d'obsidienne, perles et pendentifs en coquille, os et pierre, haches polies en roches vertes, cette nécropole fut en usage pendant 1 500 ans environ, depuis la période de Zebbug (vers 4000) jusqu'à celle de Tarxien (vers 2800-2500). A la phase initiale, les inhumations étaient simples, les défunts d'une même famille ou d'un même clan étant placés dans des ossuaires collectifs et recouverts d'ocre rouge. Par contre, la phase de Tarxien marque un réaménagement du site, avec la construction du mur d'enceinte et à l'intérieur l'érection d'orthostats subdivisant les grottes, tandis qu'au centre était installé un énorme vase en pierre. Les corps furent dès lors inhumés dans les chambres entourant le cœur de la nécropole, avec le rite de l'inhumation secondaire visant à ménager de la place pour les apports successifs. Ces restes en cours d'étude représentent un nombre d'individus très élevé et montrent peu de changement dans la composition de la population maltaise durant cette longue période, ce qui laisse supposer que les modifications dans les styles céramiques ou architecturaux ne dépendent guère d'apports extérieurs massifs. Le mobilier sépulcral de la phase de Tarxien consiste uniquement en petites statuettes en terre cuite et en pierre tendre représentant les mêmes personnages féminins aux formes opulentes, ces "Fat Ladies" déjà connues dans d'autres sites fouillés antérieurement. Leur association à un culte des morts, ou de la mort, ne fait ici aucun doute.
Trouvées au pied d'un autel qui domine le grand vase en pierre, deux statuettes jumelles accolées, en pierre tendre, représentent une paire de personnages obèses, à tête amovible, assis côte à côte sur une sorte de lit ou banquette richement orné. Vêtus des jupes plissées, ici peintes en noir, classiques dans la statuaire de Tarxien, les jambes colorées à l'ocre rouge, ni l'un ni l'autre de ces personnages ne présente d'attributs sexuels explicites. L'un (ou l'une ?) tient entre ses mains, sur ses genoux, un petit personnage identique, l'autre un bol.
Couple de Ggantija.
Photo (c) J.& Y. Busuttil-Demarque.
Toujours à proximité de la grande jarre en pierre, neuf petites idoles en calcaire, dont trois anthropomorphes et une phallique, furent découvertes ensemble. Inédits dans l'art préhistorique maltais, où sont connus cependant de nombreux symboles sexuels mâles, ces objets ajoutent au mystère et à la complexité des rituels funéraires et religieux de ces Néolithiques insulaires.
Les plus anciens temples en pierre du monde
Si les habitats des premiers Maltais, Skorba excepté, sont fort mal connus, les nécropoles l'étant davantage grâce aux hypogées, les lieux de culte représentent par contre une masse de documentation remarquable. Ces constructions spectaculaires, que l'on a qualifiées à juste titre de « plus anciens temples de pierre du monde », ne sauraient en effet être autre chose que des sanctuaires. Ce ne sont pas des édifices funéraires, puisqu'aucune tombe n'y a été découverte (les tombes à incinération de l'âge du bronze trouvées dans les ruines de Tarxien sont largement postérieures). Par contre, la présence d'autels de pierre, souvent monolithiques, de statues figurant des divinités, d'offrandes, atteste leur caractère sacré et religieux. De plus, à Tarxien notamment, des témoignages de sacrifices, couteaux de silex, ossements de moutons, chèvres, porcs, ont été retrouvés sous les autels. Toujours à Tarxien, des sculptures en ronde-bosse figurent les animaux immolés lors des sacrifices : taureaux, chèvres, béliers, porcs, représentés en files cérémonielles sur des frises ornant des linteaux de pierre, richement décorés par ailleurs de motifs en spirales ou en volutes finement sculptés. Il n'y a cependant nulle trace de sacrifices humains, ce qui est en plein accord avec le caractère éminemment pacifique de la civilisation maltaise néolithique, où on ne connait aucune arme, pas même les pointes de flèches en silex - ou en obsidienne - si communes à la même période ailleurs en Europe ou en Afrique. Des "pierres de fronde" fusiformes, en pierre tendre, ont pu servir à la chasse aux oiseaux.
Au nombre de 23 encore reconnaissables, auxquels s'ajoutent les ruines trop dégradées d'une vingtaine d'autres, ces temples comprennent la plupart du temps une série de chambres semi-circulaires enfermées dans une construction massive cernée par un mur externe souvent édifié, comme à Ggantija, en blocs cyclopéens placés en boutisse et panneresse afin d'assurer la cohésion et la solidité de l'édifice.
L'entrée s'ouvre au centre d'une façade concave précédée d'une esplanade parfois pavée. Ces temples sont à plan tréflé, se compliquant au cours de leur évolution, avec 4, 5, parfois même 6 absides. Aucun parallèle n'a pu être trouvé en dehors de Malte et on pense qu'ils procèdent d'une genèse locale, à partir des tombes creusées dans le roc, dont les plus anciennes, comportant plusieurs alvéoles comme à Xemxijà, remontent au 4e millénaire, et à partir de petits sanctuaires domestiques tel celui identifié à Skorba.
Des modèles réduits de temples, en calcaire tendre, et les dispositions en encorbellement des blocs encore en place, donnent une idée de l'aspect originel de ces imposants édifices. Etant donné les dimensions de certaines salles, une couverture en dalles de pierre est impensable ; la toiture devait être en bois, branchages, roseaux, matériaux périssables dont l'incendie a laissé des traces indéniables à Tarxien à Skorba, et sur d'autres sites.
Dans tous ces temples, on peut distinguer une partie externe, qui devait accueillir la foule des fidèles, et une partie interne, obscure et dont le secret était défendu par des portes successives, un "saint des saints" où n'avaient accès que les prêtres et peut-être certains initiés ou privilégiés, ce que suggèrent les "trous d'oracles". C'est dans le mystère de ces salles profondes que se déroulaient les sacrifices, tandis que les prêtres y brûlaient des plantes aromatiques dans de grands récipients de pierre.
L'orientation des temples a donné lieu à quantité d'interprétations, parfois contradictoires. Ils s'ouvrent en général vers le Levant, avec des variantes situées entre le Sud et l'Est. Seul, l'un des temples de Tarxien s'ouvre vers le sud-ouest. Mais doit-on considérer cette orientation vue depuis l'intérieur, ou de l'extérieur, du parvis où se pressait la foule des fidèles ? Dans ce second cas, l'orientation est inverse, vers le nord-ouest et non plus vers le sud-est ! Ge qui pourrait matérialiser, selon le Pr. Bonanno, le maintien de liens sacrés avec la Terre-Mère, la Sicile, mais aussi avec Pantelleria et avec les îles Eoliennes, d'où provenait la précieuse obsidienne.
Quelle divinité vénérait-on au cœur de ces sanctuaires ? A quels dieux, à quelles déesses offrait-on en sacrifice les plus beaux animaux du troupeau, ou les prémices des moissons ? A l'entrée de Tarxien fut découverte la plus grande effigie connue de la divinité, la base tronquée d'une statue qui intacte devait mesurer près de 3 m de haut. Brisée à la taille, il n'en subsiste que les pieds, les jambes massives, les cuisses vêtues d'une courte jupe plissée. Considérée comme féminine sur la base — discutable — de sa corpulence, et ce malgré l'absence de signes sexuels distinctifs, cette représentation de la divinité existe en de nombreux autres exemplaires de dimensions beaucoup plus modestes, toujours sculptés dans le calcaire tendre à globigérines.
Comme pour la "Grande Déesse" de Tarxien, il n'est guère aisé, le plus souvent, d'être catégorique quant au sexe de telle ou telle statue. Toutes ont en commun leur corpulence confinant à l'obésité, avec un développement exagéré de la partie médiane. Nus, ou vêtus seulement d'une courte jupe, ces personnages sont représentés debout, le bras droit allongé le long du corps, le gauche replié sur le ventre. Ni les seins, ni le sexe, ne sont indiqués, pas plus sur les statues verticales que sur celles représentées assises ou accroupies, les jambes repliées dans une pose souvent gracieuse malgré leurs proportions quasi monstrueuses. Curieusement, la tête manque. Une alvéole ménagée au sommet du corps et portant deux perforations indique que la tête était amovible, et articulée. Ainsi les prêtres, cachés dans la pénombre des temples pouvaient-ils peut- être, au moyen de liens souples, animer la tête des statues et donner ainsi des ordres ou des réponses aux fidèles crédules venus consulter les dieux ?
Quant aux petites statuettes, souvent de dimensions très réduites, elles peuvent correspondre à des ex-voto, peut-être aussi à des représentations de prêtres ou de hauts personnages, car certaines sont très réalistes. S'il paraît indéniable que ces effigies aux formes plantureuses évoquent un culte de la fertilité se rattachant au mythe très méditerranéen de la Déesse-Mère, on ne peut écarter un lien étroit avec le monde des morts, le monde souterrain, et y voir des divinités chtoniennes, ce que confirment les observations faites dans les hypogées de Hal Saflieni et surtout de Brochtorff Circle.
Si Ggantija, sur l'île de Gozo, s'impose par sa masse et les dimensions colossales des blocs mis en œuvre, aucun autre temple n'égale celui de Mnajdra, sur la côte sud de Malte, pour les lignes harmonieuses de son architecture, mais aussi la beauté du site et son cadre grandiose. C'est au matin qu'il faut découvrir Mnajdra, lorsque le soleil levant dore les falaises et que l'îlot de Filfla se profile sur la mer azuréenne. Depuis Ghajn Tuffieha et le Ras-il-Pellegrin jusqu'à la calanque du Wied-iz-Zurrieq, la côte sud de Malte est demeurée intacte, vierge des constructions modernes qui surchargent les rivages du nord. En contrebas d'Hagar Qim, qui occupe la crête du plateau de Qrendi, les temples jumeaux de Mnajdra, ouverts vers le soleil levant, dominant la mer de plus de 100 mètres, sont des joyaux de pierre posés sur une lande rocheuse qui au printemps se couvre de milliers de fleurs, asphodèles, chèvrefeuilles, glaïeuls, orchidées sauvages. Centrés sur une esplanade pavée circulaire, les temples de Mnajdra sont en fait au nombre de trois. Le plus petit et le plus ancien, à l'est, remonte au 4e millénaire. Le second chronologiquement est situé le plus à gauche ; le troisième et le plus récent, intercalé entre eux, date de la phase de Tarxien, postérieure à 3000. Souvent considérés à juste titre comme les plus beaux des temples maltais, les monuments de Mnajdra émerveillent le visiteur par la perfection de leur architecture, le soin apporté dans la taille et l'ajustement des blocs, leur décoration sophistiquée. Donnant sur une chambre exiguë ménagée dans l'épaisseur du mur du temple sud-ouest, deux curieuses petites ouvertures ont été interprétées comme des "trous d'oracles". Les mêmes dispositifs existent à Hagar Qim et à Tarxien. On les a rapprochés d'exemples connus dans l'Antiquité classique : par ces orifices, des prêtres cachés dans l'épaisseur du mur de l'édifice pouvaient faire parler les divinités et exiger des fidèles venus interroger les dieux des offrandes en échange de talismans ou de conseils pratiqueAvant que la chronologie, basée sur les datations du radiocarbone, ne vienne bouleverser les idées reçues, on expliquait la présence de ces monuments imposants par des contacts avec les brillantes civilisations de Méditerranée orientale, le Minoen moyen en particulier, ce qui leur assignait une date comprise entre 1800 et 1500 avant J.-C. On sait à présent que la phase "tardive" de Tarxien s'est achevée en fait avant 2200, probablement vers 2500, ce qui écarte radicalement l'hypothèse d'influences de l'âge du bronze égéen. C'était d'ailleurs déjà, dès les années 60, l'opinion du Pr. Evans, qui avançait l'hypothèse d'une genèse autochtone.
Edifiés vers 3500, peut-être avant pour certains, les temples néolithiques maltais peuvent revendiquer sans concurrence le titre de « plus anciens temples en pierre du monde », au moins aussi anciens que les premiers temples sumériens de brique crue, plus anciens que les pyramides des premières dynasties d'Egypte.
Le plus esthétique, on l'a dit, est Mnajdra, sur Malte, mais le plus majestueux est sans conteste Ggantija, sur Gozo. Son plan est analogue à celui de Mnajdra, avec deux systèmes de cours en absides, sans communications entre eux. Construite en énormes blocs et dalles de calcaire corallien, la façade s'élève encore à plus de 8 m, et devait atteindre à l'origine 15 à 16 m. Ggantija, la "Tour des Géants", devait posséder une couverture en bois, certainement pas en pierre, étant donnée la largeur de l'édifice.
Malte préhistorique, île de Pâques de la Méditerranée ?
Ces temples se présentent par paires ou par groupes espacés de 5 à 6 km des temples voisins. Colin Renfrew a pu ainsi définir 6 groupes de temples, qui correspondraient chacun à un territoire. Sur les 316 km2 des îles Maltaises, 60 % sont encore aujourd'hui des terres arables, mais en tenant compte de l'érosion, on peut avancer le chiffre de 70 % pour la période néolithique. Sur la base de 2 ha de terre arable par habitant, C. Renfrew avance un chiffre moyen de population de 2 000 habitants pour chaque territoire, soit 11 à 12 000 au total. L'archéologue britannique a proposé un parallèle au premier abord surprenant, mais assez séduisant en seconde analyse, entre Malte préhistorique et l'île de Pâques. Bien que les plates-formes (ahu) et les statues fameuses de la lointaine Rapa-Nui soient plus récentes de quatre millénaires que les temples maltais, les deux îles présentent des analogies certaines. Toutes deux sont isolées : certes, l'île de Pâques est infiniment plus loin, perdue dans l'immensité du Pacifique, que Malte ne l'est de la Tunisie ou de la Sicile. Toutes deux conservent des témoignages d'architecture sacrée monumentale réalisés par des populations demeurées à un stade technologique rudimentaire, puisqu'ignorant le métal et n'utilisant que des outils de pierre dure, silex et obsidienne sur Malte, obsidienne et basalte sur Râpa Nui.
L'île de Pâques ne couvre que 160 km2, soit la moitié de la superficie totale de l'archipel Maltais. Peuplée à l'origine par dix tribus, son ancien système de chefferies est connu par l'ethnologie, notamment les travaux d'A. Métraux. Lors de sa découverte par les Européens, le jour de Pâques 1722, elle comptait 3 à 4 000 habitants et donc une densité à peu près comparable à celle des îles Maltaises au Néolithique, si l'on en croit les estimations. Comme celle de Malte, la population pascuane vivait des ressources agricoles, représentées ici essentiellement par des tubercules, auxquelles s'ajoutaient celles de la pêche, mais contrairement à Malte elle était privée des apports de l'élevage, les seuls animaux terrestres étant les poulets et... les rats.
Les grandes plates-formes rituelles et funéraires, les ahu, au nombre de 244 et les quelques 600 statues monumentales tournant le dos à la mer et qui ont suscité tant de fantasmes interprétatifs - jusqu'à faire intervenir des extraterrestres ! — étaient érigées en l'honneur de défunts de rang important, ou en l'honneur des dieux. La construction des ahu, aussi bien que la taille, l'extraction, le transport et l'érection des statues, dont certaines ont plus de 10 m de haut et atteignent 80 t, mobilisaient toutes les énergies, ce qui implique, comme sur Malte au Néolithique, une organisation sociale structurée capable de canaliser la main-d'oeuvre et d'utiliser les ressources naturelles et humaines pour des réalisations aussi spectaculaires que prestigieuses. Ceci avait l'avantage d'écarter les heurts et les conflits, et a fonctionné avec succès, au moins durant un certain laps de temps. Mais à terme le système s'est essoufflé sous la montée des pressions sociales, puisque la civilisation pascuane s'est éteinte au début du XIXe siècle, postérieurement à la visite de Cook en 1774, dans des guerres intertribales sanglantes et destructrices, magnifiées par la tradition orale, avant d'être nivelée par les raids esclavagistes du Pérou, à la fin du XIXe siècle.
Sans doute un système de chefferies analogue a-t-il existé sur Malte au Néolithique, capable de produire des réalisations architecturales grandioses malgré des ressources limitées, l'isolement géographique et une technologie rudi mentaire. Mais si la tradition orale des Pascuans a conservé le souvenir d'événements tragiques, à vrai dire peu anciens, responsables de l'efFondrement de cette société, sur Malte le mystère demeure à travers les millénaires.
La mort des temples et les guerriers surgis de la mer
Brusquement, vers la fin du 3e millénaire, la brillante civilisation des temples s'effondre comme anéantie par un cataclysme. Il ne s'agit pas d'une catastrophe naturelle, d'une éruption volcanique colossale comme celle de Santorin, mais d'une catastrophe d'origine humaine. En effet, à Skorba, à Tarxien, les temples montrent les traces de violents incendies. Leur destruction a été aussi totale que brutale.
La disparition brusque de la civilisation des constructeurs de temples a intrigué les chercheurs depuis près d'un siècle. Pour l'expliquer, on a invoqué tantôt des épidémies, tantôt des disettes dues à l'épuisement des sols ou à des années de sécheresse, tantôt à des conflits sociaux nés de la surpopulation, phénomène qui sur l'île de Pâques a entraîné guerres tribales, famines et cannibalisme. Mais aucune de ces hypothèses ne repose sur des bases solides et toutes restent du domaine de la spéculation.
En soulignant la rupture culturelle totale constatée entre le Néolithique maltais et l'âge du bronze qui lui succède, on a invoqué également l'éventualité d'une invasion dévastatrice de guerriers iconoclastes, de mystérieux pirates surgis de la mer. C'est encore la thèse qui prévaut pour nombre de spécialistes.
Durant tout le Néolithique, la civilisation maltaise a évolué, tout en affirmant une profonde originalité, au rythme de contacts et d'apports extérieurs, avec la Sicile essentiellement, mais aussi le Sud de la péninsule Italique, la Sardaigne, voire le Midi méditerranéen français. Nulle trace de heurts, de conflits armés, d'intrusions guerrières, ne vient troubler la quiétude insulaire durant deux millénaires et demi.
Avec l'âge du métal, cet univers paisible va basculer dans une ère nouvelle où priment désormais la force et la violence, où la découverte de la métallurgie est avant tout utilisée à des fins guerrières : le bronze, qui va rapidement supplanter le silex et l'obsidienne, sert essentiellement à fabriquer des armes offensives. Les navigateurs qui vers la fin du 3e millénaire débarquent dans les criques maltaises sont des guerriers armés de poignards et de haches en métal, des archers redoutables qui utilisent encore parfois l'obsidienne de Lipari, tranchante comme du verre, mais uniquement pour en tirer des têtes de flèches meurtrières. Leurs rites funéraires sont très différents : les morts sont incinérés et leurs restes placés dans des urnes groupées en cimetières aménagés dans les ruines des temples, notamment à Tarxien. Le cimetière de Tarxien a fourni de riches parures : colliers à plusieurs rangs de perles en test, en vertèbres de poissons, mais aussi en faïence, pâte de verre bleue, importées d'Egée ou d'Egypte, écarteurs de colliers en pierre ou en faïence.
A Tarxien, les urnes funéraires des nouveaux arrivants ont été trouvées au sein d'une épaisse couche de cendres, ce qui a conforté la thèse d'une invasion destructrice.
Il est indéniable que l'âge du bronze voit l'irruption, dans les îles de Méditerranée occidentale, de populations guerrières connaissant le métal et édifiant des villages fortifiés, que ce soit en Sicile, dans les îles Eoliennes (Lipari, Capo Graziano), ou en Sardaigne et en Corse. D'où venaient ces navigateurs armés ? En s'appuyant sur des affinités constatées dans la céramique, on a invoqué des mouvements complexes de peuples et d'éléments culturels depuis l'est vers le centre et l'ouest de la Méditerranée. C'est avec l'Helladique ancien et le Macédonien ancien que les céramiques du cimetière de Tarxien et celles de Capo Graziano dans les Eoliennes ont le plus de ressemblances. Les envahisseurs de l'âge du bronze sont également les auteurs des dolmens des îles Maltaises, monuments que l'on a rapproché de ceux de Terre d'Otrante. Par contre, les mystérieuses ornières creusées un peu partout dans le sol rocheux des îles, ces "cart-ruts" qui ont fait couler beaucoup d'encre et donné naissance aux théories les plus extravagantes, ne sont pas, comme on l'a dit longtemps, les traces des chariots de l'âge du bronze. Ces ornières se sont révélées en relation étroite avec les carrières d'âge historique ; on en connaît d'ailleurs d'identiques près de Marseille, au cap Couronne, ainsi qu'en Sicile, toujours dans des sites de carrières.
Au cours de l'âge du bronze, de précieux repères chronologiques sont fournis par des trouvailles sur Malte de quelques tessons de poterie mycénienne, notamment sur le site fortifié de Borg-in-Nadur. Les villages fortifiés, occupant des promontoires naturellement défensifs renforcés de remparts, se multiplient au cours de l'âge du bronze, témoignant d'une période troublée. La fin de l'âge du bronze et le début de l'âge du fer montrent des influences des cultures contemporaines de Sicile mais aussi de Calabre. Elles seront relayées vers le VIIIe siècle avant notre ère par les Phéniciens et les Puniques, qui vont faire entrer les îles Maltaises dans l'aube des temps historiques.
SOURCES :
Source principale de l'article : Jean Courtin, Malte préhistorique une île de Pâques méditerranéenne
BIBLIOGRAPHIE SUCCINCTE:
BONANNO (A.), 1991, Malta, an archaeological paradise, Mj. publ., Valletta, 64 p.
EVANS Q.-D.), 1963, Malta; Ancient Peoples and Places, Thames and Hudson, London, 256 p.
EVANS (J.-D.), 1971, The Prehistoric Antiquities of the Maltese Islands, Athlone Press, London, 260 p., 70 pi.
RENFREW (C), 1983, Les origines de l'Europe, la révolution du radiocarbone, Flammarion, Paris, 317 p. TRUMP (D. H.), 1972, Malta, An Archaeological Guide, Faber and Faber, London, 171 p.
Durant tout le Néolithique, la civilisation maltaise a évolué, tout en affirmant une profonde originalité, au rythme de contacts et d'apports extérieurs, avec la Sicile essentiellement, mais aussi le Sud de la péninsule Italique, la Sardaigne, voire le Midi méditerranéen français. Nulle trace de heurts, de conflits armés, d'intrusions guerrières, ne vient troubler la quiétude insulaire durant deux millénaires et demi.
Avec l'âge du métal, cet univers paisible va basculer dans une ère nouvelle où priment désormais la force et la violence, où la découverte de la métallurgie est avant tout utilisée à des fins guerrières : le bronze, qui va rapidement supplanter le silex et l'obsidienne, sert essentiellement à fabriquer des armes offensives. Les navigateurs qui vers la fin du 3e millénaire débarquent dans les criques maltaises sont des guerriers armés de poignards et de haches en métal, des archers redoutables qui utilisent encore parfois l'obsidienne de Lipari, tranchante comme du verre, mais uniquement pour en tirer des têtes de flèches meurtrières. Leurs rites funéraires sont très différents : les morts sont incinérés et leurs restes placés dans des urnes groupées en cimetières aménagés dans les ruines des temples, notamment à Tarxien. Le cimetière de Tarxien a fourni de riches parures : colliers à plusieurs rangs de perles en test, en vertèbres de poissons, mais aussi en faïence, pâte de verre bleue, importées d'Egée ou d'Egypte, écarteurs de colliers en pierre ou en faïence.
A Tarxien, les urnes funéraires des nouveaux arrivants ont été trouvées au sein d'une épaisse couche de cendres, ce qui a conforté la thèse d'une invasion destructrice.
Il est indéniable que l'âge du bronze voit l'irruption, dans les îles de Méditerranée occidentale, de populations guerrières connaissant le métal et édifiant des villages fortifiés, que ce soit en Sicile, dans les îles Eoliennes (Lipari, Capo Graziano), ou en Sardaigne et en Corse. D'où venaient ces navigateurs armés ? En s'appuyant sur des affinités constatées dans la céramique, on a invoqué des mouvements complexes de peuples et d'éléments culturels depuis l'est vers le centre et l'ouest de la Méditerranée. C'est avec l'Helladique ancien et le Macédonien ancien que les céramiques du cimetière de Tarxien et celles de Capo Graziano dans les Eoliennes ont le plus de ressemblances. Les envahisseurs de l'âge du bronze sont également les auteurs des dolmens des îles Maltaises, monuments que l'on a rapproché de ceux de Terre d'Otrante. Par contre, les mystérieuses ornières creusées un peu partout dans le sol rocheux des îles, ces "cart-ruts" qui ont fait couler beaucoup d'encre et donné naissance aux théories les plus extravagantes, ne sont pas, comme on l'a dit longtemps, les traces des chariots de l'âge du bronze. Ces ornières se sont révélées en relation étroite avec les carrières d'âge historique ; on en connaît d'ailleurs d'identiques près de Marseille, au cap Couronne, ainsi qu'en Sicile, toujours dans des sites de carrières.
Au cours de l'âge du bronze, de précieux repères chronologiques sont fournis par des trouvailles sur Malte de quelques tessons de poterie mycénienne, notamment sur le site fortifié de Borg-in-Nadur. Les villages fortifiés, occupant des promontoires naturellement défensifs renforcés de remparts, se multiplient au cours de l'âge du bronze, témoignant d'une période troublée. La fin de l'âge du bronze et le début de l'âge du fer montrent des influences des cultures contemporaines de Sicile mais aussi de Calabre. Elles seront relayées vers le VIIIe siècle avant notre ère par les Phéniciens et les Puniques, qui vont faire entrer les îles Maltaises dans l'aube des temps historiques.
SOURCES :
Source principale de l'article : Jean Courtin, Malte préhistorique une île de Pâques méditerranéenne
BIBLIOGRAPHIE SUCCINCTE:
BONANNO (A.), 1991, Malta, an archaeological paradise, Mj. publ., Valletta, 64 p.
EVANS Q.-D.), 1963, Malta; Ancient Peoples and Places, Thames and Hudson, London, 256 p.
EVANS (J.-D.), 1971, The Prehistoric Antiquities of the Maltese Islands, Athlone Press, London, 260 p., 70 pi.
RENFREW (C), 1983, Les origines de l'Europe, la révolution du radiocarbone, Flammarion, Paris, 317 p. TRUMP (D. H.), 1972, Malta, An Archaeological Guide, Faber and Faber, London, 171 p.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire